Réveil après une longue léthargie, ou nouveau stratagème ?

 

La lecture de la Lettre ouverte rédigée par des fidèles et du clergé de l’Église Hors-Frontières sous l’autorité du Patriarcat de Moscou /EORHF PdM/ adressée au métropolite Marc d’Allemagne, nous apprend qu’il lui est demandé, en sa qualité de Président provisoire de leur Synode, de prendre ses distances avec le PdM, de cesser la commémoration de Kirill Goundiaev et d’aller jusqu’à reconsidérer « l'opportunité de subordonner davantage notre Église au Patriarcat de Moscou » et arrêter la commémoration du patriarche Kirill, selon les engagements qui avaient été pris il y a 15 ans lors de la signature de l’union. En outre, ils le pressent de prendre cette décision de crainte que "le saint patriarche" ne vienne à refuser d’approuver le choix de leur nouveau Primat suite au décès du métropolite Hilarion.

Dans notre récent article « Tempête sur le navire patriarcal » nous avons analysé les raisons qui avaient poussé Mgr Marc à prendre la décision audacieuse et, disons-le, totalement inattendue d’exprimer vertement son désaccord avec le patriarche Kirill qui, il y a peu, était encore son bienfaiteur. Nous écrivions notamment à ce sujet : « Depuisle décès de Mgr Hilarion de New-York, Mgr Marc assure temporairement la direction du Synode jusqu’à l’élection d’un nouveau Primat qui, conformément à l’accord conclu en 2007, devra être confirmé par le patriarche. Mgr Marc vient de célébrer son 80° anniversaire et il sait parfaitement que selon le paragraphe 26 du chapitre XV du Règlement de l’Église Orthodoxe Russe « Après avoir atteint l'âge de 75 ans, l'évêque présente au Patriarche de Moscou et de toutes les Russies une demande de mise à la retraite ». Ne serait-ce pas la raison pour laquelle Mgr Marc, qui aime le pouvoir et ne veut pas prendre le risque de ne pas être confirmé par Kirill, a manifesté un tel désaccord avec lui entrouvrant par là même, si besoin était, une porte de sortie de cette famille patriarcale dans laquelle il avait lui-même introduit une part significative de l’Église Hors-Frontières ? ».

Espérons que personne ne pensera à nous accuser de vanité, mais nous souhaitons néanmoins souligner la chose suivante : ne trouvez-vous pas que la conclusion de notre analyse coïncide singulièrement avec les craintes exprimées dans la Lettre ouverte ? On pourrait presque croire à une totale similitude de point de vue, néanmoins, répétons-le, il est encore trop tôt pour se réjouir, car nous ne voyons dans cette Lettre aucune trace de repentance et encore moins d’appel lancé à Mgr Marc, principal coupable de la reddition de l’Église Russe Hors-Frontières libre au profit d’un Patriarcat de Moscou captif et corrompu, à se repentir. Ce qui pouvait conférer l’apparence d’une canonicité parfaite et la joied’une communion avec toutes les Églises officielles, ce dont on était très fiers durant toutes ces dernières années, les place brutalement au seuil d’être comptés au nombre des parias par l’ensemble du monde chrétien. Le péché qu’ils ont commis ne peut être effacé que par un repentir réel et sincère et ne saurait nullement être lavé par une habile entrée en communion avec le "bon" métropolite Onuphre, ce qui semble bien être la solution à laquelle on prépare les fidèles.

Comment expliquer ce frémissement de la conscience chez des personnes qui ont vécu, sans problème apparent, près de vingt ans dans le mensonge ? Les nombreux appels à leur conscience restaient invariablement sans résultat et ce n’est que le soutien apporté par Kirill au président Poutine dans la guerre avec l’Ukraine qui s’est avéré être un fait insurmontable ainsi que la cause de la rupture des relations avec eux et qui les amène à reconsidérer leur propre statut ecclésial. Faut-il en conclure que si ce n’était cette guerre avec l’Ukraine, ils continueraient à suivre le plus tranquillement du monde cette même voie mensongère et traîtresse ?

Posons la question aux auteurs et signataires de cette Lettre ouverte : estimez-vous possible de retrouver le chemin authentique antérieur de l’Église Hors-Frontières tout en restant sous l’autorité spirituelle de ces mêmes hiérarques qui ne songent qu’à une seul chose – comment sortir de cette situation plus qu’embarrassante et qui ne veulent nullement opérer leur examen de conscience ? On ne peut que s’interroger : est-ce un réveil d’une longue léthargie ou un nouveau stratagème ? Est-ce un réveil de conscience ou une tentative de passer entre les gouttes sans être mouillé ?

Rappelons ici un exemple tiré de l’actualité politico-religieuse relativement récente et très instructive. Lorsqu’à la fin décembre 1989 Nicolae Ceausescu ainsi que le régime communiste sont tombés, le patriarche rouge Théoctiste, tristement célèbre pour ses compromissions avec la police secrète de la Securitate et son obséquiosité à l’égard de Ceausescu, avait pris conscience de son comportement coupable, avait demandé pardon au peuple qu’il avait trompé et avait trouvé suffisamment de force d’esprit pour abandonner de lui-même son ministère patriarcal et se retirer dans un monastère. Certes, trois mois plus tard, on est venu le chercher et il a été réinstallé sur le siège patriarcal, mais le geste avait été réalisé et le repentir exprimé.

Il est également alarmant de remarquer que la Lettre ouvertelaisse tout au contraire entrevoir une éventuelle tentative de légitimer l’iniquité en assimilant la tactique astucieuse de rupture forcée des relations avec Kirill Goundiaev au comportement purement canonique du saint Métropolite Antoine /Khrapovitsky/ qui avait fondé l’Église Russe Hors-Frontières sur la base du décret N° 362 du saint Patriarche Tykhone.

En effet que peut-il y avoir de commun entre les deux démarches ? Se trouvera-t-il des gens qui puissent imaginer possible pour Mgr Marc et ses acolytes de se référer au Décret 362 ?! C’est précisément cette décision inspirée du saint Patriarche que, en se soumettant au Patriarcat de Moscou, il avait foulée aux pieds, prétendant que ce Décret était devenu caduque et avait ainsi perdu toute signification et valeur. Se peut-il que maintenant il veuille s’y référer pour justifier sa rupture avec le PdM et continuer à affirmer urbi et orbi la canonicité et la logique de sa démarche. Peut-on être autant machiavélique ?

Dans leur conclusion, les auteurs de la Lettre ouverte en appellent à « notre Très-Bon Seigneur » afin qu’Il « aide nos hiérarques à faire le choix qui serait l’expression véritable du Dessein de Dieu pour notre Église ». Mais, pourtant, la soumission de l’EORHF au PdM n’avait-elle pas déjà été qualifiée de "réalisation du Dessein de Dieu", de "décision agréable à Dieu" ainsi que l’on nous le répétait sur tous les tons durant ces quinze années écoulées ? Tout ce mensonge ne pourra jamais être oublié, effacé.

C’est Mgr Marc qui peut, sans réelle difficulté, changer diamétralement d’opinion, affirmer tout et son contraire et se contredire lui-même, mais en aucun cas notre Seigneur Dieu. Autrement dit, une seule des deux affirmations peut en réalité être l’expression du Dessein de Dieu, tandis que l’autre doit impérativement être ouvertement, officiellement et avec toutes les conséquences qui en découlent, condamnée et stigmatisée comme un mensonge impie ayant causé une multitude de désastres et de malheurs, tant pour l'Église que pour le peuple croyant.

Protodiacre Germain Ivanoff-Trinadtzaty