Nos lecteurs connaissent Serge Kolesnikoff dont nous avons déjà publié des articles sur ce site, dont un consacré – déjà ! – à J.F. Colosimo. Rappelons que Serge Kolesnikoff fut un ardent défenseur de notre église à Cannes où pendant de nombreuses années il a servi en qualité de lecteur, qu’il est par ailleurs agrégé en Economie, auteur de nombreux ouvrages dans des domaines différents et anime également un audioblog très pertinent où il propose à ses auditeurs des analyses géopolitiques des réalités de notre monde, et Dieu sait si l’actualité offre de riches thèmes d’analyses et de réflexion. Vous pouvez prendre connaissance de son tout dernier audioblog en cliquant sur le lien suivant :
Dans l’article ci-dessous, il n’est nullement question de minimiser les qualités intellectuelles de J.F. Colosimo, mais de s’interroger sur le tropisme proconstantinopolitain et antirusse, allant bien au-delà de l’antipoutinisme, d’un homme d’une telle stature. Et nous saluons, et faisons nôtre, le néologisme de "politcorrect" qu’emploie S. Kolesnikoff pour parler de cette tendance qui aujourd’hui annihile toute réflexion sérieuse sur le sujet, mais permet de tenir les premiers rôles dans les médias.
Protod. Germain
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Notes de lecture sur le dernier ouvrage de J. F. COLOSIMO
LA CRUCIFIXION DE L'UKRAINE
J’ai eu l’occasion de lire le dernier ouvrage de J.F. Colosimo La crucifixion de l’Ukraine.
L’auteur est une vedette du monde intellectuel parisien : théologien (il fut professeur à l’Institut Saint- Serge), journaliste, essayiste éditeur, membre de diverses commissions d’État (une stature comparable à celle d’Yves Coppens par ex. dans un autre domaine). L’homme fait autorité dans le monde médiatique où il est apprécié comme spécialiste de l’Orthodoxie et de l’Ukraine. Le titre de son livre n’a guère de rapports avec le contenu : c’est une accroche purement marketing. Le sous-titre, Mille ans de guerres de religions en Europe, en revanche, rend bien mieux compte du sujet de l’analyse qui est menée sous un angle très intéressant : l’imbrication du politique et du religieux dans la trame de l’Histoire non pas comme épiphénomène, mais bien comme moteur, ce qui échappe hélas très souvent à l’historien.
Certes le livre est touffu et difficile à appréhender (à vrai dire on ne peut suivre le fil du récit que si l’on connaît déjà bien l’histoire du christianisme) : beaucoup de phrases générales, allusives, quasiment poétiques, c’est quasiment de l’impressionnisme littéraire, mais d’un style bien tourné et qui permet surtout de ne jamais quitter vraiment le concret. L’ensemble a un caractère dynamique et vivant avec des allers-retours dans le temps, la valse des siècles coexistant avec des arrêts sur image plus fouillés (par ex la guerre de Crimée de 1853/56), et offre le charme d’une vision personnelle à mille lieues de l’ennui mortel d’un ouvrage universitaire. J.F. Colosimo recycle ici des connaissances qu’il a véritablement intégrées et enseignées à satiété car son livre, dit-il, a été écrit en six mois.
L’analyse est centrée sur la rupture Occident/Orient commençant avec Charlemagne et se poursuit avec le sac de Constantinople par les croisés, puis la compétition entre Grecs et Latins pour leurs missions évangélisatrices à l’Est, dessinant une tectonique des plaques civilisationnelles partant de Tallinn sur la Baltique et traversant l’Ukraine, jusqu’à la Méditerranée…
Si l’interprétation des faits reflète un point de vue très pertinent sur la primauté du religieux, ce qui encore une fois est une qualité extrêmement rare, en revanche on s’étonnera de voir chez un tel auteur un degré d’intrication idéologique assez ahurissant. Trois exemples : tout d’abord la fondation apostolique de Moscou serait inexistante, écrit-il p.146 ! Et là on est sidéré : s’il parle de fondation apostolique au sens strict de l’évangélisation d’une contrée ou d’une ville par les apôtres (comme celle de Constantinople par l’apôtre André et placée sous la juridiction du métropolite d’Héraclée) on est dans le sujet des sièges apostoliques et épiscopaux des débuts de l’Église primitive, mais pas dans celui des sièges patriarcaux ultérieurs, ni de leurs juridictions, dont parle Colosimo. La fondation de Constantinople comme siège patriarcal et 2-e Rome remonte à 330 (les apôtres sont morts depuis longtemps), ce qui ne l’empêchera pas de posséder pourtant la primauté après Rome au sein de la pentarchie (3-e canon du 2-e Concile Œcuménique) ! Or en tant que 2-e Rome, c’est Constantinople qui a créé le siège métropolitain de Kiev en 991, converti Rostov, Souzdal, Novgorod etc., (succession apostolique) et fixé finalement le siège métropolitain de l’Église russe à Moscou, la principauté qui émerge politiquement au 14-e (Kiev étant tombée sous la domination mongole qui a fait exploser la Rus’ primitive en 3 morceaux : Grande Russie autour de Novgorod, Russie Blanche absorbée par la Pologne-Lituanie, et territoires d’Ukraine/Petite-Russie partagés entre la Pologne et la Russie). Depuis 1448 Moscou s’est déclarée autocéphale en raison de la chute de Constantinople dans l’hérésie latine du filioque au Concile de Florence de 1437-39, ce qui la situe en dehors de l’Église (du point de vue orthodoxe). Constantinople reconnaîtra son erreur en 1484 et le patriarcat de Moscou sera reconnu par Jérémie II de Constantinople comme 3-e Rome autocéphale, entrant au 5-e rang de la Pentarchie (Rome, exclue du monde orthodoxe, laissant la primauté à Constantinople) en 1590. Dès lors on voit mal où Colosimo, qui a visiblement une dent (à vrai dire récente…) contre Moscou, va chercher son argument un peu fou ! Où est le problème ?!
Il est extraordinaire que J.F. Colosimo par contre avale sans sourciller la légitimité de l’Église soviétique, comme si cette dernière n’avait pas été créée ex nihilo par le Guépéou au profit du métropolite Serge, tiré de prison pour l’occasion et qui accepte en 1927 de servir le pouvoir satanique des bolcheviks, alors que le chef légitime (après l’assassinat du patriarche Tikhon en 1925) de l’Église russe Pierre de Kroutitsa croupissait au Goulag où il mourra officiellement en 1936.
Extraordinaire également (et c’est mon 2-e exemple) que Colosimo, chantre du patriarcat œcuménique de Constantinople, n’ait pas noté dans son ouvrage l’intrusion des idées de la franc-maçonnerie en Orient tout au long du 19 e siècle, ce qui, conjugué à la baisse du niveau du clergé (ce qu’explique remarquablement Timothy Ware avec la fermeture des instituts de théologie par les Turcs), va entraîner l’incroyable bascule de la 2-e Rome pour un progressisme hérétisant depuis le début du 20-ème siècle avec entre autres Germain V et sa fraternité d’Églises à créer, ou le sinistre Mélétios Metaxakis, un intrigant placé par les forces d’occupation française et britannique sous mandat SDN, qui va initier le grand schisme grec de 1924, et son digne successeur Grégoire VII qui se rallie à l’Église Rénovée des bolcheviks (sic) et interdit la commémoration de Mgr Tikhon dans les églises russes de son territoire, etc. En Occident, seul le cas d’Athénagoras mis en place par les Américains (1948-72), est un peu plus connu…
Aujourd’hui le patriarche Bartholomée est un compagnon de route de cette mouvance et les trois Rome se battent comme des chiffonniers pour la suprématie religieuse. Étrange que tout cela soit passé sous silence dans un livre précisément consacré aux guerres de religion !!! En fait J.F. Colosimo lit la géopolitique religieuse contemporaine à travers le filtre idéologique de ce qu’il appelle la crucifixion de l’Ukraine (une obsession psychologique chez lui : tout son ouvrage n’est qu’une charge contre Moscou sous couvert de développements historiques), posant comme évidente son existence pourtant purement fantasmatique avant 1922, mais refusant totalement par contre de prendre en compte la réalité bien palpable de l’impérialisme américain, dont il ne dit pas un traître mot, ce qui le condamne, hélas, à voir les choses comme elles ne sont pas.
Son expertise en matière de géopolitique actuelle est plus que biaisée et partiale et c’est le 3-e exemple que je prendrais : p. 265 il balaie d’un revers de main les arguments de Poutine, comme si (indépendamment de ce que l’on peut formuler comme critiques à son égard) la nécessité de protéger les populations russophones du Donbass génocidées par Kiev depuis huit ans n’était que propagande (mais 13000 morts, cela compte), comme si l’encerclement de la Russie par les Yankees n’était qu’une lubie (mais les missiles US ont bel et bien été déployés en Pologne 2010, Roumanie 2013, et devaient l’être en Ukraine après 2014), comme si la trahison de la parole donnée à Gorbatchev de la non extension à l’Est de l’OTAN, qui se lit dans les documents déclassifiés depuis 2017 de l’université de George Washington était une invention (NB : il n’y a pas d’écrit officiel entend-on souvent, oubliant qu’un document écrit eut violé l’article 10 du Traité de l’OTAN), comme si la CIA n’avait pas organisé le dépeçage du monde russe par les révolutions de couleurs (2003 en Géorgie, 2004 en Ukraine, 2005 en Biélorussie, mais là cela va échouer, et la même année au Liban et au Kirghizistan), puis le putsch du Maïdan de 2014 pour installer un régime policier et antidémocratique à Kiev, comme si les USA ne suivaient pas la doctrine Bzrezinski : hégémonie mondiale de l’Amérique sans guerre si possible avec, si nécessaire, pour finir par l’organisation d’une révolution à Moscou même, afin de diviser la Fédération de Russie en trois républiques (cf. Le Grand échiquier 2010 pp 258/59). Comme si Kiev, la France et l’Allemagne n’avaient pas signé les accords de Minsk II sans jamais avoir eu l’idée de les appliquer (Merkel l’a avoué le 7/12/22 dans une interview au Zeit et Hollande a confirmé). Alors que ces accords qui convenaient à Poutine prévoyaient le maintien de l’indépendance de l’Ukraine : quel gâchis !
Faut-il alors penser que J.F. Colosimo soit un fervent adversaire de J.F. Kennedy qui, lors de la crise de Cuba 1962, avait menacé Khrouchtchev du feu nucléaire s’il ne retirait pas ses missiles ? Heureusement le leader soviétique n’était pas fou ! À l’inverse, la sénilité de Biden fait peur, lui qui ne craint pas de nous entraîner joyeusement vers une 3-e Guerre mondiale pour faire plaisir à un Zelensky parfaitement inconscient et suffisamment irresponsable pour avoir entraîné son peuple dans l’anéantissement total !
Ce que ne disent pas les médias mainstream c’est qu’il est passé aux actes une semaine avant l’invasion déclenchée par Poutine (qui viendra secourir ses frères du Donbass au titre de l’article 51 de la Charte des Nations Unies, celui-là même que la France a invoqué pour guerroyer au Mali) en multipliant par 30 les bombardements quotidiens du Donbass depuis le 16 février 2022, comme prélude à sa Plateforme Crimée de conquête guerrière des territoires de l’Est (août 21), alors qu’il avait été élu en 2019 pour lutter contre la corruption et négocier la paix avec Poutine (sic) : il a carrément trahi son peuple et l’a amené vers la guerre avec son protecteur Biden !
Ce sont là tout simplement des faits que J.F. Colosimo préfère ignorer, ce pourquoi il est souvent invité dans les médias qui raffolent de son discours politcorrect et ultra simpliste : pour lui Poutine est l’exterminateur de l’Ukraine, c’est ben Laden + 6255 ogives, un être démoniaque et son discours c’est celui du mensonge… Pile poil ce qu’il faut dire pour être dans le vent (Poutine = Hitler) depuis qu’Hillary Clinton et McCain en ont lancé la mode en 2014 ! Il est difficile en France, où la liberté d’expression est en voie de totale extinction, d’avoir d’autres sons de cloche : il faut écouter les rares passages à la TV d’H. Carrère d’Encausse, de Marek Halter, Pierre Conesa, H. Vedrine, H. Guaino, R. Le Sommier, etc., il faut s’imprégner de la géopolitique de l’après-guerre froide, il faut lire (Baud, Mettan, Endeweld, Moreau, Fédorovski, etc.), visionner les blogs alternatifs, écouter SudRadio (Bercoff), voire prendre des sources d’infos idéologiquement indépendantes à l’étranger, par ex Bloomberg aux USA, RT en Russie, voire Africanews… Là c’est autre chose que la propagande de radio Kiev retransmise chez nous et cela fait réfléchir : l’on prend conscience de la complexité de la question.
La démocratie voudrait que l’on écoute tous les avis dans les médias et non pas qu’on nous impose une pensée unique avec des experts maison. Et encore les rares paroles libres comme Cnews, C8, c’est trop encore aux dires récents (début février) de notre actuelle ministre de la culture Mme Rima Abdul-Malak (il faudrait d’après elle mieux les encadrer) ! On ne peut que regretter que J.F. Colosimo mette ses talents et son érudition au service d’une cause politique en s’abritant derrière le paravent d’une interprétation très particulière de l’Orthodoxie.
Serge KOLESNIKOFF