Une union acquise par la ruse et la fraude

 

L’article en langue russe de l’archiprêtre Nikita Grigorieff (1), décrivant les circonstances dans lesquelles fut effectuée la mainmise du Patriarcat de Moscou (PdM) sur l’Église Russe Hors-Frontières (EORHF), doit être lu avec la plus grande attention. Cet article est tout spécialement précieux pour toute personne intéressée de savoir, et désireuse de comprendre les circonstances d’une déroute aussi invraisemblable de cette citadelle qui semblait inébranlable.

Le père Nikita sait ce dont il parle, car cette déroute et toutes les intrigues qui lont accompagnées se sont déroulées sous ses yeux. Étant enseignant au célèbre séminaire de Jordanville, d’où il fut naturellement renvoyé pour sa défense inébranlable de la Vérité ecclésiale, tout ce qu’il écrit ce ne sont pas des paroles rapportées par un tiers, mais celles d’un témoin direct de cette entreprise maléfique. 

Comme nous l’avons plus d’une fois écrit, étant pour notre part restés fidèles au saint Métropolite Vitaly, nous n’avons pas participé à ces événements puisque, bien avant la date fatale du 17 mai 2007, nous avions parfaitement vu et compris où menait la politique des "néo-Hors-Frontières" qui s’étaient emparés du pouvoir au sein du Synode et avaient éliminé le dernier Primat de l’EORHF. Toutefois, tout ce que nous savions, comprenions et vivions douloureusement est aujourd’hui confirmé par le témoignage écrit du père Nikita et … ce qui est écrit, est écrit.

Relevons donc quelques points qui nous paraissent essentiels dans cet article.

Dès le début de son témoignage, le père Nikita aborde le fameux "Grand-Concile de San-Francisco"(2)  de mai 2006 et écrit très clairement : « Après quatre jours de débats, le Concile a pris la décision de ne pas entrer en communion avec le PdM ». Ne pas entrer. C’est dit de manière parfaitement concise et claire, et ce témoignage balaie toutes les fables qui ont pu être écrites et peuvent encore être lues sur internet, selon lesquelles le Concile en était arrivé à la conclusion prétendument naturelle d’une union avec le Patriarcat de Moscou et que les évêques auraient été en quelque sorte contraints, dans un enthousiasme général, et quasiment sous l’inspiration de saint Jean de Shangaï, de poser cet acte "agréable à Dieu". Et le père Nikita cite un extrait de la Décision officielle du 11 mai 2006 : « /.../ l’immense espoir qu'en temps voulu l'unité de l'Église russe sera restaurée sur les fondements de la Vérité du Christ ». Dans cette phrase les mots essentiels ne sont pas tant ceux portant sur l’espoir de voir restaurée l’unité, mais bien "en temps voulu" et "sur les fondements de la Vérité du Christ". "En temps voulu" signifie qu’il n’y a pas urgence à prendre pareille décision, mais seulement lorsque le temps viendra, quant à la "Vérité du Christ" les commentaires seraient superflus.

En dépit de cela, lors du Concile des Évêques, qui se tint immédiatement après le "Grand Concile", les évêques présentèrent une tout autre version : «Le projet d’un Acte d’union canonique a été discuté. Ce projet a été adopté et approuvé dans ses principes avec une réserve concernant la solution de certains points ». On voit là très nettement non le désir d’informer les fidèles de l’Église Hors-Frontières, mais bien de les désinformer en affirmant que le projet aurait été adopté et approuvé et qu’il ne resterait plus que quelques détails secondaires à régler. Pour ces traîtres partisans obstinés de l’union, tout était en effet réglé et décidé d’avance et ils n’avaient aucun désir de débattre de quelques points que ce soit. Mais ces points, loin d’être secondaires, étaient ceux-là mêmes qui durant tout le siècle écoulé étaient les raisons essentielles de notre séparation d’avec le PdM et restent non résolus et en vigueur à ce jour. Est-il utile d’ajouter que ces points n’ont jamais été débattus, mais furent tout bonnement ignorés, ainsi que l’écrit le père Nikita. C’est à croire que durant toutes ces décennies nous n’étions pas en communion eucharistique du fait de notre obstination à vouloir défendre des broutilles.

Il faut noter qu’en plus du Concile il y eut encore par la suite un Synode des Évêques où, sous la pression obstinée des évêques Lavr et Mark, l’union avec le PdM fut subrepticement et illégalement imposée à l’Église, bien que, comme il vient d’être dit, le Concile n’ait jamais donné son accord, ni béni pareille union. Ajoutons que ce Synode fatidique, authentique brigandage, ne disposait même pas du quorum, car seulement trois membres effectifs y étaient présents ! Mais ce n’est même pas là la transgression essentielle de l’ordre canonique. Le père Nikita nous rappelle que le Synode n’est pas habilité à prendre unilatéralement pareille décision, car le Synode est soumis à l’autorité du Concile, qui est lui-même soumis aux décisions du "Grand Concile" et doit en refléter les décisions. Et nous avons vu que ces deux organes d’autorité supérieure avaient décidé que le temps de l’union avec le PdM n’était pas arrivé tant que les motifs essentiels de la non communion n’avaient pas été réglés.

Ainsi donc, la chute de la majeure partie de l’Église Hors-Frontières repose sur une grossière usurpation de pouvoir, attendu que « le Synode a pris unilatéralement la décision d’unir l’EORHF au PdM » allant contre la ligne clairement exprimée du "Grand-Concile" et ignorant même l’opinion plus mesurée du Concile des Évêques !

Le père Nikita nous livre encore une information très curieuse, dont nous n’avions pas entendu parler jusqu’à ce jour. Nous savions que du temps encore de la véritable et historique EORHF, Mgr Lavr s’était plus d’une fois rendu secrètement en Russie, sans la bénédiction du Métropolite Vitaly, et sans même l’en informer. Et nous apprenons que ces voyages se sont répétés à l’époque où il avait lui-même conquis le pouvoir au Synode. Rentrant d’une de ces escapades, il se rendit à Jordanville et à l’issue de la Liturgie il stupéfia toutes les personnes présentes par la révélation suivante citée par le père Nikita : « Il étonna tout le monde dans la cathédrale en disant que dorénavant il avait compris qu’aucune union avec le PdM n’était possible et que nous devions nous préparer à un martyre possible » ! Comment expliquer pareille panique dans la bouche de Mgr Lavr ? Nous ne voyons qu’une seule explication : cette affaire avait déjà été engagée beaucoup trop loin et tout retour en arrière était devenu impossible. Peut-être commençait-il à comprendre lui-même que, par sa propre impéritie, il avait mis l’Église en danger et peut-être avait-il tenté de bredouiller devant ses interlocuteurs du Patriarcat quelques critiques et conditions concernant le sergianisme ou l’œcuménisme, mais on lui fit clairement comprendre, et sans le moindre sourire, qu’il était temps d’arrêter de tergiverser, tout en complétant ce propos d’une menace non dissimulée.

Et là nous est revenu en mémoire que nous avions chez nous une cassette où était enregistrée une interview au cours de laquelle Mgr Lavr apparaissait tel un lapin effrayé, peu sûr de lui, peureux, ne sachant pas ou plutôt n'osant pas répondre à la question pourtant simple qui lui était posée – n’est-il réellement plus possible de renoncer à la capitulation ? Après un long silence, on l’entend bredouiller à mi-voix : mais, ils vont nous tuer … Voilà à quels "frères en Christ" et à quelle "Église-Mère" il a livré l’Église Hors-Frontières … Assurément une affaire "agréable à Dieu", comme ils aiment à le répéterEt par lâcheté et frousse ces évêques indignes préférèrent vendre l’Église, pensant qu’il était plus souhaitable et moins dangereux de se soumettre docilement, sans poser de conditions ni de questions. Peut-on imaginer pareil comportement chez un seul de nos saints Primats ?!

Totalement oubliées sont les assurances traditionnelles voulant que l’Église Hors-Frontières soit la partie libre et la voix libre de l’Église Russe, et le Patriarcat de Moscou une création de Staline n’ayant aucun rapport avec l’Église Russe-Martyre. Dorénavant ils s’efforçaient de tout faire afin d’être acceptés par ce Patriarcat sans être punis pour leur longue désobéissance et recherchaient le moyen le plus indolore pour être "réunifiés" à ce tronc de l’Église Russe, auquel ils n’avaient jamais été unis, et dont ils se seraient prétendument séparés sans raisons valables durant les années vingt du siècle passé. En un mot – une trahison totale de tout ce qui avait fait la grandeur passée de l’Église Hors-Frontières : sa fermeté, son refus de tout compromis, sa confession de la Vérité. Et pas le moindre mot sur le décret 362 du saint Patriarche Tykhone ni, évidemment, sur le sergianisme. Ils furent même contraints d’écouter tête basse, sans mot dire, à l’ouverture de la toute première réunion de la commission de négociation, la déclaration insolente de la délégation patriarcale qu’il ne saurait y avoir de discussions ni sur Serge, ni sur le sergianisme. C’est à se demander – de quoi pouvait-on alors parler ? Il s’agissait d’une totale capitulation les armes avaient été déposées sur le champ de bataille devant l'ennemi.

L’idée selon laquelle le temps était venu de signer l’union, et ce dans les délais les plus brefs, s’était emparée de tous les esprits, comme dans un tourbillon, et s’imposait progressivement par des moyens les plus impudents : des rencontres furtives dans les représentations diplomatiques post-soviétiques, ce qui était généralement nié, la rencontre avec Vladimir Poutine et même, il est permis de le dire, les indications de ce dernier pour aboutir au plus vite à l’union, les invitations faites à des représentants du Patriarcat, soigneusement choisis parmi l’aile conservatrice, parmi ceux qui, en paroles du moins, se présentaient comme des "monarchistes" et des "antiœcuménistes" patentés et qui, en fin de compte, étouffaient totalement la voix et les objections de quelques rares courageux qui tentaient vainement de défendre les principes Hors-Frontières. Et n’oublions pas ces réceptions solennelles au Patriarcat de Moscou, d’où les naïfs émigrés rentraient éblouis, des étoiles plein les yeux … Lorsque l’on se replonge dans ces années, on se dit que, parmi ceux qui avaient été ainsi trompés et s’étaient laissés prendre à ce piège, nombreux sont aujourd’hui ceux qui doivent se demander, tout comme nous nous interrogeons – comment cela a-t-il pu se passer ?

Hélas, rares furent ceux qui réussirent à ne pas flancher et ne vendirent pas leur âme pour un plat de lentilles. D'autres, étouffant définitivement leur conscience, se pavanent aujourd’hui coiffés de klobouks blancs, des croix brillantes sur leurs coiffes, portent mitres et décorations patriarcales sur la poitrine. Tandis que la masse de ceux qui se sont laissés séduire et entraîner dans cette aventure peu glorieuse, doivent vraisemblablement repenser avec nostalgie aux temps heureux où ils étaient encore au sein de l’authentique Église Russe Hors-Frontières.

 

Protodiacre Germain Ivanoff-Trinadtzaty

 

(1)L’article en langue russe du père Nikita Grigorieff peut être lu dans le journal Nasha Strana, № 3182

(2) Un "Grand Concile" réunit tous les évêques ainsi que des délégués prêtres et laïques élus dans les différents diocèses.