Les saints Cyrille et Méthode et l’aveugle-né

 

 

Bien-aimés frères et sœurs en Christ, hier, l’Eglise Orthodoxe a célébré avec gratitude et révérence la mémoire des Saints Cyrille et Méthode, appelés à juste titre égaux aux apôtres et illuminateurs des peuples Slaves. Dans sa sagesse, l’Église nous donne pour méditation l’Évangile de la guérison de l’aveugle-né, en Jean chapitre 9 — une rencontre bouleversante entre la Lumière du monde et un homme plongé dans les ténèbres dès sa naissance.

Il ne s’agit pas seulement d’un miracle physique. L’évangéliste Jean le Théologien nous invite à voir plus loin, plus en profondeur. Ce récit est une parabole vivante de la condition humaine : nous sommes tous, d’une certaine manière, aveugles de naissance. Non pas que Dieu nous punisse, comme les disciples le croient au début – « Qui a péché, lui ou ses parents ? » –, mais parce que nous sommes nés dans un monde blessé, obscurci par le péché, l’ignorance, l’orgueil.

Mais dans cet aveuglement, le Christ passe, Il voit, Il s’arrête. Il ne détourne pas les yeux. Il fait de la boue avec Sa salive et la poussière du sol – image puissante de l’Incarnation : Dieu qui se mêle à la matière, qui entre dans notre condition. Puis Il dit : Va te laver à la piscine de Siloé, ce qui signifie Envoyé. L’aveugle y va, se lave… et revient voyant la lumière du jour.

Saint Clément d’Ohrid nous parle d’une autre lumière. Dans le Synaxaire voici comment il commence l’introduction de la vie de St Cyrille : « Avec sa piété et sa beauté, il s'est élevé sur terre comme le soleil, éclairant le monde entier à travers l'aube du Dieu tri-hypostatique. La sagesse de Dieu a construit un temple dans son cœur, et sur sa langue, comme un chérubin, reposait le Saint-Esprit, qui distribue toujours les dons selon la puissance de la foi, comme le dit l'apôtre Paul : « À chacun de nous la grâce a été donnée selon la mesure du don de Christ. »(Éphésiens 4:7). Après tout, le Seigneur a dit : « Celui qui m'aime, je l'aimerai, et je me ferai connaître à lui (Jean 14:21) ; j'habiterai chez lui, et il sera pour moi un fils, et je serai pour lui un père » (Jean 14:23). »

Cette lumière, frères et sœurs, est celle que les saints Cyrille et Méthode ont portée jusqu’aux extrémités du monde connu de leur temps. Ils sont devenus, à l’image du Christ, les instruments de cette illumination. Et leur mission incarne plusieurs aspects de la guérison évangélique du jour.

Les peuples slaves, au IXe siècle, n’étaient pas encore chrétiens. Ils étaient comme l’aveugle-né : exclus du Temple, sans accès aux Écritures, sans langage sacré pour s’adresser à Dieu. Et pourtant, Dieu les a vus. Il les a regardés avec amour, et leur a envoyé ces deux frères comme porteurs de la lumière.

Saint Cyrille, homme de grande sagesse, et saint Méthode, moine et évêque de Moravie, ont compris que la lumière de l’Évangile n’est pas réservée à une élite linguistique ou ethnique. Comme le Christ touche les yeux de l’aveugle avec boue et salive, ils ont pris les éléments de la culture slave – leur langue, leur pensée – pour les unir à l’onction divine de l’Évangile.

Ils ont créé l’alphabet glagolitique. Ils ont traduit les Écritures. Ils ont célébré la liturgie en slavon dans les terres de Moravie. Comme l’aveugle-né lavé à Siloé, les Slaves sont revenus voyant. Ils ont vu le Christ, ils ont cru, ils l’ont glorifié.

Mais le miracle de l’Évangile ne s’arrête pas à la guérison : il continue dans la confrontation. Les pharisiens refusent de croire. Ils interrogent l’homme, ses parents, ils l’accusent, le méprisent : « Tu es né tout entier dans le péché, et tu nous enseignes ? » Et ils le chassent.

Cyrille et Méthode, eux aussi, ont été confrontés à l’incompréhension, aux accusations, aux obstacles politiques et ecclésiaux. Certains les accusaient de déformer la foi, de briser l’unité, d’inventer une langue liturgique non sacrée. Mais ils ont tenu bon, l’aveugle guéri a tenu bon également: « Une chose je sais : j’étais aveugle, et maintenant je vois ! »

Ils ont gardé la foi. Et Dieu a justifié leur œuvre. Le Pape les a reçus dans un environnement assez hostile au départ. Puis Saint Cyrille a pris la parole : « La pluie ne vient-elle pas de Dieu, et le soleil ne brille-t-il pas de la même manière pour tous ? L’air n’est-il pas aussi le même pour chacun ? »Et comment ne rougissez-vous pas de honte en pensant que seules trois langues sont valables, tandis que vous ordonnez à tous les autres peuples et nations d’être aveugles et sourds ? Considérez-vous Dieu comme impuissant, qu’Il ne pourrait pas accorder cela à tous ? Ou bien comme jaloux, qu’Il ne voudrait pas ? Mais nous connaissons de nombreux peuples qui ont leurs propres livres et qui glorifient Dieu chacun dans sa propre langue : les Arméniens, les Perses, les Abkhazes, les Ibères (Géorgiens), les Sogdiens, les Goths, les Avars, les Thraces, les Khazars, les Arabes, les Égyptiens, les Syriens, et bien d’autres encore. Et si vous ne voulez pas comprendre la vérité par cela, regardez au moins votre condamnation dans la Bible. David s’écrie et dit : « Chantez au Seigneur un cantique nouveau, chantez au Seigneur, toute la terre ! » (Ps 95:1) Et encore : « Acclamez le Seigneur, toute la terre ; jubilez, réjouissez-vous, et chantez ! » (Ps 97:4) Et ailleurs : « Que toute la terre se prosterne devant Toi et chante pour Toi, qu’elle chante à Ton nom, Très-Haut ! » (Ps 65:4) Et encore : « Louez le Seigneur, vous toutes les nations ! Glorifiez-le, vous tous les peuples ! » (Ps 116:1) et « Que tout ce qui respire loue le Seigneur ! » (Ps 150:6)…

Je vous invite à lire les vies de ces deux Saints frères dans le Synaxaire. Ce n’est pas le seul débat que Saint Cyrille a mené et remporté dans sa vie. Il a débattu avec le Pape Jean VII au sujet de l’hérésie iconoclaste et le Pape a été déposé. Contre les Sarazins (musulmans) il a gagné le débat au sujet de la Trinité à seulement 24 ans. Après avoir perdu ils l’ont empoisonné, mais le seigneur l’a gardé en vie. Lui et son frère Saint Méthode ont également aidé les samaritains à abandonner des coutumes inspirés par le judaïsme dans leur vies de chrétiens. Saint Cyrille est décédé à Rome, où se trouve son corps dans l’église Saint Clément.

Saint Méthode était moine à la montagne Olympe, puis il a accompagné son frère en Moravie et après le décès de son frère est devenu  Archevêque de Moravie et a terminé l’exploit de traduire en glagolitique tous les livres liturgiques et la Bible. Il avait un don de prophète et il aurait même prédit le jour de sa mort. Il a laissé beaucoup de disciples pour continuer sa mission, dont Saint Clément d’Ohrid qui a écrit les vies des deux Saints frères. Il a également créé l’alphabet cyrillique (en hommage de Saint Cyrille). Le nouveau alphabet était plus simplifié que le Glagolitique et a été répandu sous le règne du tzar Boris-Michail en Bulgarie et parmi tous les peuples slaves.

Revenons, chers frères et sœurs, à l’évangile du jour et notons bien que l’aveugle ne reçoit pas seulement la vue. Il reçoit la foi. Au début, il dit que Jésus est un prophète. Puis, quand Jésus revient vers lui, Il lui demande : « Crois-tu au Fils de l’homme ? » Et l’homme répond : « Qui est-il, Seigneur, pour que je croie en Lui ? » Jésus dit : « Tu le vois, c’est Lui qui te parle. » Alors il s’écrie : « Je crois, Seigneur ! » Et il se prosterne.

Cyrille et Méthode n’ont pas seulement donné une culture, un alphabet, une tradition. Ils ont conduit les peuples à cette confession de foi : « Je crois, Seigneur ! » Ils ont été de véritables pères spirituels, initiateurs d’une relation personnelle entre les peuples et le Christ.

Ce récit et cette mémoire nous interpellent. Avons-nous nous-mêmes reconnu notre propre cécité ? Avons-nous laissé le Christ nous toucher ? Avons-nous accepté d’aller nous laver dans l’eau vivifiante de notre baptême – non comme un simple rite du passé, mais comme un passage quotidien des ténèbres à la lumière ?

Et surtout : sommes-nous devenus à notre tour porteurs de cette lumière ? Le monde qui nous entoure est rempli d’aveuglements nouveaux : relativisme, matérialisme, isolement. Comme Cyrille et Méthode, nous sommes appelés à faire descendre la Parole de Dieu dans la langue du cœur de nos contemporains. Non pas en imposant, mais en traduisant. En incarnant. En illuminant par notre vie.

Frères et sœurs bien-aimés, aujourd’hui l’Église nous montre un chemin : celui de la lumière partagée, de la foi vécue, du courage dans l’adversité. Prions les Saints Cyrille et Méthode, non seulement comme des héros du passé, mais comme des intercesseurs vivants. Qu’ils nous apprennent à voir, à croire, à témoigner. Et que, comme l’aveugle guéri, nous puissions dire à notre tour : « Je crois, Seigneur ! ». Amen !

 

Père Zhivko Zhelev