L'ICONOGRAPHIE DE LA RESURRECTION
L'iconographie orthodoxe connaît deux manières pour représenter le miracle et la fête de la Résurrection. C'est, d'une part, la scène des Saintes Femmes Myrophores s'en allant au Tombeau pour ensevelir le Christ et qui trouvent le Tombeau vide, contenant seulement les bandelettes et un ou deux anges annonçant la bonne nouvelle : « Pourquoi cherchez-vous parmi les morts Celui qui est vivant ? ». D'autre part, et c'est le représentation la plus courante, celle dite de l'Anastasis, la résurrection des morts, la descente du Christ aux Enfers pour délivrer les justes de l'Ancien Testament qui y étaient captifs, selon le texte même du tropaire de la fête : Christ est ressuscité des morts, par la mort Il a vaincu la mort, à ceux qui sont dans les tombeaux, Il a donné la vie.
C'est là le grand mystère pascal, le mystère de la Pâque, Pessah-Paskha, le passage de la mort à la vie. Cette hymne de joie retentit et revient inlassablement tout au long de l'office pascal, et cette joie de la Résurrection se poursuit durant quarante jours jusqu'à cette autre grande fête du Seigneur qu'est l'Ascension. .
Ces deux types d'icônes sont les deux seules icônes canoniques orthodoxes servant à représenter cette "Fête des Fêtes", point culminant de l'année ecclésiale, et autour de laquelle toute la vie liturgique est organisée. Aucune représentation d'un Christ surgissant du tombeau, le bras levé en signe de victoire, avec ou sans lys à la main, autant d'images venues d'Occident en terres orthodoxes, ne peuvent être considérées comme traditionnelles, et donc orthodoxes, pour la simple raison que nul n'a jamais vu le moment précis de la Résurrection. Les Évangiles restent très discrets sur ce "mystère des mystères".
Ainsi, la première icône peut être appelée "narrative" – elle est la transposition du texte évangélique, la deuxième est "dogmatique" – elle nous révèle le but, la finalité de la Nativité, de la mort en Croix et de la Résurrection du Christ-Dieu : la rédemption du genre humain, le rachat, la possibilité du salut rendue aux hommes.
L'icône de la descente aux Enfers représente, en fait, ce que nul n'a pu voir, l'au-delà du mystère insondable et qui s'est plus précisément déroulé le Grand et Saint Samedi. La matière de cette représentation est largement énoncée par l'évangile apocryphe attribué à Nicodème et l’Église l'enseigne solennellement dans la 6° ode du canon pascal : « Tu es descendu au plus profond de la terre et Tu as brisé les verrous éternels retenant les captifs, ô Christ, et le troisième jour, comme Jonas de la baleine, Tu T'es relevé du tombeau ».
Dès les tous premiers siècles du christianisme, la Résurrection était glorifiée par la peinture, mais le sujet était alors emprunté au récit vétéro-testamentaire de Jonas rejeté du ventre de la baleine après un séjour de trois jours, préfiguration du séjour du Christ parmi les morts et de Sa Résurrection. De même que Jonas fut vomi par la baleine, ce qui lui permit de recouvrer le salut, la mort ne put retenir le Christ dans ses entrailles. L'icône des saintes Femmes au Tombeau reproduit très fidèlement le texte évangélique dans la version de saint Matthieu (XXVIII,6). Ni la pierre, ni les scellés n'ont été déplacés. Le Christ est sorti tout comme Il devait par la suite entrer chez ses disciples "les portes closes".
Les disciples et les femmes qui voient ensuite le Christ ne Le reconnaissent pas : ce mystère insondable ne peut, en effet, être contemplé que par un regard spirituel purifié de tout péché. Le canon pascal, œuvre de saint Jean Damascène, débute d'ailleurs ainsi : « Purifions nos sens et nous verrons le Christ resplendissant de l'inaccessible lumière de la Résurrection, et nous L'entendrons nous dire : Réjouissez-vous en chantant l'hymne triomphale ». Ainsi, comme tous les autres mystères de l'Eglise, celui-ci n'est pas accessible au regard de tous : il ne peut être perçu et compris que par ceux qui purifient leurs sens et leurs sentiments.
Quant à la descente aux Enfers, si elle s'appuie principalement sur un écrit apocryphe, elle trouve aussi justification dans les Actes des Apôtres, dans la I° Épître de Pierre (III,19) : « Ayant été mis à mort selon la chair, mais rendu à la vie selon l'esprit, dans lequel Il est allé prêcher en prison », et dans d'autres passages néo-testamentaires. La descente aux Enfers est la pierre angulaire de la rédemption. Dans son Exposé de la Foi orthodoxe, saint Jean Damascène en parle avec beaucoup plus de précision : « L'âme déifiée est descendue aux Enfers, afin que le Soleil de justice qui s'était levé sur ceux de la terre (Malachie IV,2) brille aussi sur ceux qui, sous la terre, reposent dans les ténèbres et l'ombre de la mort » (Isaïe IX,1). De même qu'Il a annoncé la paix à ceux qui sont sur la terre, la libération aux prisonniers, le recouvrement de la vue aux aveugles (Luc IV,19, Isaïe LXI,1) et qu'Il a été la cause d'un salut éternel pour ceux qui ont cru et accusation de leur incrédulité pour ceux qui n'ont pas cru, de même Il a parlé à ceux qui sont en Enfer, afin que devant Lui tout genou fléchisse, dans le ciel, sur la terre et sous la terre (Phil. II,10). "Après avoir ainsi délivré ceux qui étaient enchaînés depuis des siècles, Il est revenu des morts en nous ouvrant le chemin de la Résurrection" (Livre III, § 29). Cette délivrance d'Adam, et de tous les justes de l'Ancien Testament qui étaient enchaînés en Enfer, est intimement liée à la Résurrection même du Christ. La descente aux Enfers est la phase ultime de la kénose du Christ Qui va jusqu'au terme de Son incarnation, et donc de Sa rédemption, n'hésitant pas à descendre en Enfer, non comme captif, mais pour y manifester Sa royauté tout autant que Sa nature d'homme.
La composition de cette icône pascale par excellence, suit généralement le schéma suivant : l' enfer est symboliquement représenté par une masse noire, sorte de grotte obscure sous une montagne escarpée. Au centre, contrastant par Sa couleur blanche, ou or très scintillante, – le Christ : « Je suis la lumière du monde ». Par côtés, deux groupes de personnages, certains aux traits caractéristiques, entourent le Christ Qui, de Sa main droite prend et tire vigoureusement Adam d'un tombeau. Symétriquement, se trouve Eve. Parfois, le Christ la tire de Sa main gauche, parfois elle tend vers Lui ses mains, suppliante. Le Christ Se tient fermement campé sur deux planches en bois, croisées, symbolisant les portes de l'Enfer brisées. Des débris, clous, serrures, clés, sont parfois représentés volant en éclats, dispersés.
La grotte noire de l'Enfer évoque d'autres icônes : celles de la Nativité ou de la Pentecôte. Ce noir symbolise tantôt l'Enfer, tantôt le monde pécheur qui ne reçoit pas le Christ-Lumière du monde Qui, dans Sa main gauche, lorsqu'elle ne Lui sert pas à tirer Eve, le Christ tient tantôt la Croix qui n'est déjà plus l'instrument infamant, honteux de la mort, mais devient un signe de victoire sur la mort. La Croix est dorénavant une arme, une lance, un glaive pour tout chrétien, ce pourquoi il la porte constamment sur soi. Mais le plus souvent, à la place de la Croix, le Christ tient un rouleau de parchemin symbolisant Son Évangile, la bonne nouvelle de la Résurrection et du salut, partout où Il Se trouve, jusque dans les Enfers.
Ce Christ glorieux est représenté avec tous les attributs de Sa divinité, notamment entouré de la mandorle (mot signifiant "amande" en italien). Cette espèce d'auréole en forme d'amande est l'attribut symbolique du corps glorifié du Christ. La mandorle n'apparaît que là où le Christ est représenté dans Son corps glorifié : Résurrection, Transfiguration, Dormition, Ascension. La mandorle est souvent représentée en cercles concentriques, scintillants. Les rayons, émanant du Corps du Christ, traversent ces différentes couches de la mandorle qui symbolise les cieux, la gloire divine, la lumière incréée.
Ainsi, ce Christ Qui S'abaisse en descendant jusqu'aux Enfers, n'y apparaît pas en prisonnier, mais en vainqueur, en libérateur des captifs. Dans l'évangile apocryphe de Nicodème, nous lisons : « Alors, la multitude des saints dit à l'enfer d'une voix menaçante : "Ouvre tes portes, afin qu'entre le Roi de Gloire"! ». Satan n'obéit pas et les portes volent en éclat. Le Christ les foule aux pieds. L'icône représente les portes croisées : elles sont hors d'usage, elles ne ferment plus, ne remplissent plus leur rôle et ne peuvent donc plus retenir captive l'humanité. Mais cette représentation est encore porteuse d'un autre symbole : c'est par la Croix que l'Enfer est vaincu, c'est en se tenant fermement campé sur la Croix que l'homme peut vaincre les forces du Mal.
Dans les lectures préparatoires à la communion au Corps et au Sang du Christ, le fidèle orthodoxe lit, notamment, ce passage du psaume 23 : « Levez vos portes, princes, et élevez-vous portes éternelles, et le Roi de gloire entrera. Qui est ce Roi de gloire? Le Seigneur fort et puissant, le Seigneur puissant dans le combat » (versets 7 et 8). Par sa communion, le fidèle fait entrer en lui ce "Seigneur des Puissances", ce "Roi de gloire" et, avec le psalmiste, il ordonne à ses propres "portes intérieures" de s'ouvrir car le Christ-Vainqueur doit pénétrer.
Devant la vigueur de l'intrusion du Christ, les serrures, les clés, les clous, tout cède et vole en éclats : « Tu as brisé les verrous éternels retenant les captifs ». Certaines icônes représentent, dans la masse noire de la grotte-enfer, de petits personnages bizarres, noueux, généralement marrons et qui semblent fuir devant l'intrusion subite et victorieuse du Christ : ce sont les anges des ténèbres, les démons qui se voient chassés de leur propre territoire.
En iconologie on parle souvent d'une "théologie de l'abîme" : « Tu es descendu au plus profond de la terre ... et le troisième jour ... Tu T'es levé du tombeau » ... « Mon Seigneur, victime vivante et non immolée, comme Dieu, de Ton plein gré, Tu T'es offert à Ton Père, Tu as ressuscité avec Toi toute la race d'Adam en ressuscitant du tombeau » (Canon de Pâque, 6° ode). Contrairement à la représentation occidentale, la descente aux Enfers respecte un équilibre entre la souffrance et la joie, l'humiliation et la victoire, la mort et la vie. « Par la Croix, la joie est entrée dans le monde entier », chante l'Eglise après chaque lecture d'un des Évangiles de la Résurrection. La Vie pénètre dans le royaume de la mort !
Certaines icônes présentent même le prince des ténèbres – Satan, vaincu par le Christ. Ainsi, une fresque du monastère de Daphni, près d'Athènes, montre Satan couché à terre essayant vainement de s'agripper à la jambe d'Adam pour le retenir en Enfer, mais le Christ, majestueux, pose Son pied sur la nuque de l'Ennemi. L'influence de la cour byzantine est là très sensible : en signe de victoire, l'empereur de Byzance posait le pied sur la nuque du prince barbare vaincu. Parfois, pour accentuer sa duplicité, Satan est représenté avec deux têtes, avec des cornes, une queue : ce ne sont pas là des détails naïfs, mais des attributs symboliques.
Ayant renversé les portes de l'Enfer, le Christ Se saisit avec vigueur de la main d'Adam. Dans le § 12 de l'Exode, il est dit que « d'une main ferme, le Seigneur nous a sortis d'Egypte, de l'esclavage ». Plus qu'un parallèle entre cette pâque vétéro-testamentaire et la Résurrection du Christ, il s'agit de la réalisation de la préfiguration de la Pâque chrétienne. Sur les icônes où de Sa main gauche Il ne relève pas Eve, celle-ci, suppliante, tend vers le Christ ses mains couvertes de son manteau en signe de vénération. Ce détail des mains couvertes exprimant le respect et la vénération, nous rappelle les anges de l'icône de la Théophanie, les évêques tenant sur leur poitrine le livre des Évangiles.
La rencontre des deux Adam, entre le Créateur et Son premier-créé, entre celui en qui nous avons tous péché et Celui par Qui nous sommes tous sauvés, est l'événement central de l'icône. C'est le moment précis où l'âme d'Adam est enfin libérée et, à sa suite, celle de tous les justes de l'Ancien Testament et de tout le genre humain. C'est ce que symbolisent les autres personnages, symétriquement disposés par rapport à l'élément central de la représentation et qui se tiennent en groupes égaux derrière Adam et Eve.
Derrière Adam, se tiennent généralement le roi David et le roi Salomon aisément reconnaissables à leurs habits royaux. Derrière eux, le tout dernier prophète de l'Ancien Testament, le saint Précurseur et Baptiste Jean, avec ses cheveux ébouriffés caractéristiques, dans une attitude rappelant celle qu'il a dans la Deisis. De sa main il désigne, avec les autres prophètes, Celui qu'ils ont annoncé au monde et qu'ils reconnaissent dès Son entrée dans l'Enfer. A droite, derrière Eve, un autre groupe, au sein duquel est généralement représenté Moïse tenant les tables de la Loi.
L'univers entier prend part à cette liesse. Désormais, notre race déchue est sauvée et le salut est acquis pour tout homme qui veut réellement être sauvé. La Résurrection du Christ non seulement vainc la mort, mais la supprime, elle produit une transformation ontologique : le corps spirituel peut apparaître dans le monde sans plus être lié par ses lois, ce qui se traduit par la sortie du Tombeau, l'entrée dans les maisons des disciples les portes restant closes, l'apparition, puis la disparition du Christ aux yeux de Ses disciples.
« Étant entré dans les entrailles de la Terre, Il nous a ouvert la voie du Ciel », disent les Pères. Ayant libéré Adam, et en lui toute l'humanité, de l'esclavage du péché et de la mort, Il a posé le principe d'une vie nouvelle pour tous ceux qui veulent librement, en toute conscience, se joindre à Lui. « Tu es descendu sur Terre pour chercher Adam et, ne l'y trouvant pas, Tu es allé le chercher en Enfer » (office du Grand et Saint Samedi).
Ce relèvement d'Adam, cette libération de son âme est l'image de la résurrection des corps à venir et dont la Résurrection du Christ constitue les prémices. C'est pourquoi, bien que cette icône représente ce mystère insondable que personne n'a vu et qui s'est déroulé le Saint et Grand Samedi de la Passion, elle est néanmoins l'icône par excellence de la Pâque en tant qu'anticipation de la Résurrection du Christ et préfiguration de la résurrection des morts. « Après avoir ainsi délivré ceux qui étaient enchaînés depuis des siècles, Il est revenu des morts en nous ouvrant le chemin de la Résurrection » (Saint Jean Damascène, Exposé de la Foi orthodoxe, § 29).
Et nous débouchons là, historiquement, sur les événements décrits dans les Évangiles et représentés par l'autre icône de la Résurrection, celle des Femmes Myrophores allant au Tombeau qu'elles trouvent vide. Seules les bandelettes mortuaires témoignent de l'authenticité de la Résurrection qu'un ou deux anges, selon les évangélistes, annoncent aux Femmes.
Protodiacre Germain IVANOFF-TRINADTZATYY