A propos d'un triste centenaire
Ce jour, dans le monde entier on parle de la « révolution d'octobre », pour les uns il s'agit de « La Grande Révolution d'octobre », pour d'autres, plus sensés, il s'agit de la « sanguinaire révolution satanique ». Ceux qui ont la possibilité de suivre les événements, les publications, conférences qui se déroulent dans la Fédération de Russie en liaison avec ce triste événement, ne manquent pas d'être surpris de voir combien il reste là-bas d'admirateurs de cette expérimentation diabolique qui a dénaturé un Empire et une civilisation jadis grands. Le bilan de la révolution se décompte en dizaines de millions de victimes humaines. Il n'est pas même possible d'avancer un chiffre approximatif. L'histoire de l'humanité n'a jamais connu pareil cataclysme. De quel bilan, ne disons même pas positif, mais simplement en demi-teinte, peut-il être question à propos de ce MAL absolu ? Il semble même inconvenant de poser pareille question et toutefois les sondages relatifs à la révolution et à ses principaux meneurs ne font qu'augmenter durant ces dernières années.
Les discussions encore hier nombreuses sur l'enlèvement du mausolée et de son occupant sont aujourd'hui résolument derrière nous. Personne n'aura l'audace de nettoyer la Place Rouge de ce temple païen qui la mutile et la défigure et du cadavre momifié de celui qui dit un jour : « La Russie, mes bons messieurs, je crache dessus ». Certes, la Russie ne ressuscitera pas de la simple destruction de ce mausolée, mais il n'y a aucune chance qu'elle puisse ressusciter tant qu'une garde d'honneur restera placée devant ce monstre du genre humain. Comment ne pas citer ici les paroles du cinéaste Stanislav Govoroukhine dans son film débordant d'amour pour la Russie intitulé 'La Russie que nous avons perdue' : « Lénine a réussi à nettoyer pour de longues années la Russie de personnes intelligentes, cultivées. Il n'a pas seulement réalisé un coup d'Etat, il a réalisé une révolution dans l'âme du peuple. Un nouveau type anthropologique est né en Russie, une nouvelle expression du visage est apparue chez les soviétiques. Ce fut le début de la dégénérescence de la nation ». Paroles amères, désespérées, mais véridiques, qui peuvent se rapporter directement à tous ces admirateurs de la révolution bolchévique …
On sait qu'un des phénomènes collatéraux de la révolution fut l'apparition d'un continent particulier, sans limites ni frontières définies, qui fut appelé Russie Hors-Frontières et où, à l'inverse de ce que Boris Eltsine avait en 1996 nommé « Jour de concorde et de réconciliation », le 7 novembre était nommé et vécu comme la « Journée d'intransigeance » à l'égard du bolchévisme et de son héritage. Il ne saurait être question d'aucune réconciliation entre les Blancs et les Rouges, la Lumière et les ténèbres, la Vérité et le mensonge. Ce qui en toute logique aurait dû avoir lieu, c'est un procès de Nuremberg du communisme, mais, hélas, il y a peu de chances de le voir un jour.
Nous proposons ci-dessous une Déclaration rédigée au nom de l'Emigration Blanche par la « Fédération d'Associations Russes /FAR/». La « FAR » a été créée en 1989 à Paris et a regroupé les présidents des différentes associations Russes Blanches. Son premier président fut le prince Serge Obolensky, elle est aujourd'hui présidée par Michel Lebedeff pour qui les associations russes émigrées devaient obligatoirement s'exprimer sur la révolution. Cette Déclaration parle à juste titre de deux révolutions, celles de février et d'octobre, soulignant expressément que la responsabilité de la révolution repose essentiellement sur la conscience des ''févralistes'', conformément à ce que nous disons toujours qu'octobre n'aurait jamais eu lieu s'il n'y avait pas eu février. Cette Déclaration dissipe également deux mythes, deux types de mensonges : celui qui consiste à glorifier la révolution qui aurait fait faire un bond en avant à la Russie et celui qui noircit la Russie des tsars et n'en parle que comme d'un pays arriéré où rien ne se passait, ni se faisait jusqu'à l'arrivée des bolcheviks au pouvoir. Alors qu'en réalité, la Russie connaissait un formidable développement, notamment économique, culturel, agricole, scientifique et qu'elle fut, comme par une hache, impitoyablement abattue par les bolcheviks.
Les héritiers de la première vague de l'Emigration ont ainsi réalisé un long travail, très scrupuleux, car le texte final devait être approuvé par toutes les composantes de la « FAR ». Hélas, ce but n'a pu être totalement atteint, car pour des raisons peu compréhensibles, deux, sauf erreur, associations sur les vingt cinq composant la « Far » ont refusé d'apposer leur signature sous cette Déclaration. Rendons néanmoins hommage à ceux qui ont bien voulu défendre ici dignement la mémoire de la Russie Historique.
Protodiacre Germain Ivanoff-Trinadtzaty
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2017
Cent ans après la révolution russe
2017 marquera le centenaire des deux révolutions russes, celle de février et celle d’octobre. Des révolutions qui ont bouleversé le cours du XXe siècle par l’instauration d’un pouvoir totalitaire visant à établir le communisme. Ce centenaire donnera lieu à des analyses souvent divergentes, tant en Russie qu’en Europe ou sur les autres continents.
La Fédération d’Associations Russes (FAR), à laquelle adhèrent des associations issues de la grande émigration russe des années 1920, (http://www.far-asso.eu), se doit de prendre position.
En mémoire et au nom de leurs pères qui durent quitter massivement et contre leur gré leur Patrie pour se disperser sur les cinq continents, les membres de la FAR souhaitent faire entendre avec force leur témoignage légitime. Luttant contre la désinformation et l’oubli, ils veulent rappeler ce qu’était réellement la «Russie d’avant» - un pays d’ancienne civilisation, à l’économie en plein essor - et dénoncer la véritable tragédie qu’a été l’année 1917 et la terrible guerre civile qui s'ensuivit, dans l’histoire de la Russie et du monde. Au nom d’un utopique bonheur des peuples, ces mois dramatiques ont abouti à un pouvoir totalitaire qui a semé la ruine et la désolation sur un gigantesque territoire, sans reculer devant aucun massacre pour faire naître le prétendu «Homme nouveau».
Une occasion historique de redécouvrir une vérité complexe, trop longtemps occultée par la mythologie soviétique, se présente. Les descendants de ceux que l’on a appelés «les Blancs» appellent à la saisir. Rien de solide ne peut être construit sur le mensonge.
Après des siècles de monarchie chrétienne qui réglait la vie et la culture de ce qu’on appelait «La Sainte Russie», s’est bâti un système inspiré d’une idéologie révolutionnaire et souvent terroriste, née au XIXe siècle. Après une phase expérimentale en Russie, ce système s’était donné pour mission la révolution mondiale chère à Lénine et à Trotski.
Rappelons le contexte :
La Russie, une puissance en plein essor
• A la veille de la première guerre mondiale, avant 1917, la Russie est devenue la quatrième économie dans le monde avec un taux de croissance avoisinant 10%. Sa richesse est estimée à 120 milliards de roubles, comparée à 130 pour la France, 160 pour l'Allemagne et 180 pour la Grande-Bretagne. Le taux de croissance constaté à cette époque avait conduit certains économistes à prévoir pour la Russie un meilleur classement encore à partir des années Vingt. Ce développement économique s’accompagne de nombreuses avancées sociales notamment dans les usines.
• Entre 1875 et 1914, la population a doublé pour atteindre près de 180 millions, ce qui place l’Empire russe au premier rang des grandes puissances.
• En matière de droit de la famille, il faut remarquer une notable indépendance juridique de la femme, tout particulièrement en ce qui concerne la capacité à hériter et à disposer de ses biens, avantages exceptionnels pour l’époque.
• Les scientifiques et industriels russes sont à l’origine de nombreuses avancées majeures dans la recherche théorique ou appliquée (1).
• L’essor et le rayonnement culturels accompagnent le développement économique et connaissent un rayonnement sans pareil (2).
• Un réel effort en matière de scolarisation gratuite, et rendue obligatoire dès 1908, s'est traduit par une augmentation importante du nombre d'écoles dans la décennie précédant la 1ère Guerre mondiale.
• En politique extérieure, la conférence de La Haye réunie pour la première fois en 1899 à l’initiative de Nicolas II, a proposé la création d’une ligue internationale pour préserver la paix mondiale (prémices de la SDN puis de l’ONU).
Une grande puissance vulnérable
L’abolition du servage en 1861 par le tsar Alexandre II n’a pas réglé le problème foncier. Malgré plusieurs réformes, dont celles très prometteuses engagées par le Premier Ministre Stolypine et stoppées par son assassinat, le monde agricole reste, en1914, dominé par la question de la propriété de la terre. La faible instruction des paysans renforce la fragilité économique et sociale de la campagne russe qui rassemble près de 80% de la population.
Durant le XIX-ème siècle, les mouvements révolutionnaires se succèdent avec des approches et des déterminations variées (décembristes, Herzen, Bakounine…). Malgré l’échec de la révolution de 1905, le pouvoir impérial peine à trouver les réponses au malaise social et politique,ce qui affaiblit son autorité.
La révolution de 1917 favorisée par la 1ère Guerre mondiale
Comme ses Alliés, la Russie prend toute sa part dans la Première guerre mondiale. En 1914, pour sauver Paris menacé sur la Marne, la Russie lance une offensive de revers et sacrifie ses régiments d’élite dans les marais de la Prusse orientale. Cette offensive et celle de 1916, accompagnée par l’envoi d’un Corps Expéditionnaire en France et à Salonique, ont été salués par ces mots du maréchal Foch: «Si la France n’a pas été effacée de la carte du monde, c’est avant tout à la Russie que nous le devons…». Sur le plan militaire, le front était partout stabilisé avec une perspective d’offensive russe d’envergure prévue au printemps 1917. Mais la guerre s’enlise et devient impopulaire, comme sur tous les fronts occidentaux. La lassitude profonde des soldats est accentuée par une propagande révolutionnaire efficace sur le front et à l’arrière. Depuis1905,sous une apparence d’autocratie de droit divin, le pouvoir impérial s’accompagne d’un système législatif (la Douma), qui n’est autre que l’embryon d’une monarchie constitutionnelle, bénéficiant souvent d’un contre-pouvoir de fait. La guerre a encore renforcé le poids de la bureaucratie, ainsi que celui des généraux dont le rôle passe au premier plan du fait des hostilités. La désorganisation des approvisionnements des grandes villes et une intense désinformation, souvent appuyée par l’étranger, aggravent la situation.
En février 1917, profitant des mouvements populaires à Saint-Pétersbourg (Pétrograd), certains leaders politiques et la plupart des généraux commandant l’état-major général sur les fronts russes contraignent NicolasII à l’abdication. Le tsar et sa famille sont assignés à résidence. Le gouvernement provisoire né de cette abdication se fixe deux objectifs: la poursuite de la guerre et l’organisation d’élections au suffrage universel d’une Assemblée Constituante.
La désorganisation du pays et la faiblesse du gouvernement provisoire ne permettent pas de tenir ces élections avant novembre 1917, alors que la propagande menée par les bolchéviques désagrège le front. L’Allemagne soutient financièrement les plus actifs des révolutionnaires et facilite le retour de Lénine en Russie en «wagon plombé». L’assemblée constituante élue fin 1917 est balayée par les bolchéviques venus au pouvoir par un coup d’Etat en octobre, ce que le pouvoir soviétique appellera «la grande révolution d’octobre».
Les bolchéviques menés par Lénine signent aussitôt une paix séparée avec l’Allemagne, au mépris des accords conclus avec les alliés. Cet acte unilatéral annihile les sacrifices de l’Empire russe, consentis par fidélité à ses engagements. Le traité de Brest-Litovsk (3 mars 1918) se traduit par la perte de 800000 km2 , de 75% de la production de charbon et de fer, 32% de la production agricole et 23%de la production industrielle.
Sous la férule de Lénine les bolchéviques, pourtant minoritaires dans le pays, mettent en place un système dictatorial. Ce dernier va s’appuyer sur la terreur et les massacres des «ennemis de classe» (nobles, clergé, bourgeoisie, paysans aisés, militaires, entrepreneurs…); la Famille Impériale sera sauvagement assassinée dès juillet 1918.
Devenu soviétique, ce système va perdurer pendant près de sept décennies, tout particulièrement pendant les années de l’horreur stalinienne. Tout sera fait pour faire disparaître les valeurs et traditions religieuses, morales et culturelles si riches en spiritualité. Dès les années 1920, l’Emigration russe en exil s’est attachée à préserver ces valeurs fondamentales de la Russie, transmises de génération en génération dans l’esprit de la formule chère à Ivan Bounine, prix Nobel: «Nous ne sommes pas en exil, nous sommes en mission».
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En conclusion, 1917 apparaît donc comme une rupture fondamentale engendrant, après octobre, une longue période liberticide. Ses incommensurables conséquences affecteront tragiquement le cours de l’histoire de la Russie tout au long du XXe siècle, notamment en la privant d’une grande partie de ses élites.
Et pourtant à l’échelle de l’histoire, cette tragédie n’occultera jamais la contribution de la Russie et de son peuple au développement culturel, scientifique, moral et spirituel de l’humanité.
C’est pourquoi le souvenir de l’année 1917, nous impose un devoir de témoignage et de mémoire. Cent ans après, un esprit de justice et de vérité doit conduire à une condamnation officielle du bolchévisme et de toutes ses conséquences.
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1- Ecole mathématique (N.I. Lobatchevsky, P.L.Tchebychev, A.A.Markov, A.M.Liapounov, N.N.Louzine), lampe à incandescence (brevets A.N. Lodyguine1874, P.N. Yablotchkov 1876), soudure à l’arc électrique (N.N. Bernados1882, N.G. Slavianov brevet 1891), radio (A.S. Popov 1895), télégraphe (C.I. Konstantinov 1848), téléphone (P.M. Goloubitzky1883) ,télévision (B.L. Rosing, brevet 1908), chimie (D.I. Mendeleev classification périodique des éléments 1869), métallurgie et pétrochimie (V.G. Chukhov), sous-marins (K.A. Schilder 1834), brise-glaces (M. Britnev 1864), aviation (A.F. Mojaïsky, brevet 1881, I.I.Sikorsky, D.P. Grigorovitch 1913,) photographie noir et blanc et couleur (S.M. Prokoudine-Gorsky, brevet 1905), photographie aérienne (S.A. Ulianin, brevet 1910 et gyroscope brevet 1915), agronomie (V.V. Dokoutchaev, S.N. Vinogradsky), biologie et médecine (N.I. Pirogov, I.P. Pavlov prix Nobel 1904,I.I. Metchnikov prix Nobel 1908)….
2 - Musique (A.N. Scriabine, A.K. Glazounov, S.V.Rakhmaninov, I.F.Stravinsky, F.I. Chaliapine, V.V.Andreïev…), danse (V.F. Nijinsky, A.M. Pavlova, S.P. Diaghilev…), poésie et littérature (A.P. Tchékhov, L.N. Tolstoï, A.A. Blok, C.D. Balmont, L.N. Andreev, M. Gorki, I.A.Bounine…), théatre (C.S. Stanislavsky), icônes (D.S.Stelletsky), peinture et arts décoratifs (I.E. Grabar, V.M. Vasnetsov, M.V. Nesterov, I.E. Repine, I.I. Bilibine, P.A. Maliavine, V.A. Sérov, I.I. Lévitan, M.A. Vroubel, L.S. Bakst, A.N. Benois, C.A. Korovine, M.V. Doboujinsky).