Saint Métropolite PHILARÈTE
La mémoire de notre saint Métropolite Philarète, qui fut le 3° Primat de l’Église Russe Hors-Frontières /EORHF/ (1964-1985), aujourd'hui canonisé, est fixée au dimanche le plus proche du jour de son rappel à Dieu le 21 novembre – jour où l’Église célèbre le saint Archange Michel – et est donc célébrée cette année le dimanche 19 novembre.Ceci nous a donné l'idée de ressortir un article écrit ''à chaud'', il y a 18 ans, à l'annonce de l'invention, c'est-à-dire de la découverte, des reliques intactes, du corps totalement non corrompu de ce vénérable hiérarque, 14 ans après son trépas – signe indéniable de son élection divine.
Ce miracle, ce signe du Ciel, nous a été donné à un moment particulièrement névralgique de notre histoire, à la veille d'un bouleversement dont l’Église ne s'est toujours pas remise. Moment crucial, puisque l’Église était à la croisée des chemins : allait-elle rester fidèle à sa ligne de confession de la Vérité et de rejet de toute compromission, ou bien allait-elle tourner le dos à des décennies de lutte pour la Vérité, céder aux tentations de ce monde et se fondre dans la masse informe du ''christianisme contemporain'' ? Les reliques incorrompues de notre saint Métropolite venaient, semblait-il, à point pour réconforter les uns à rester fidèles, les autres à repousser cette tentation qui ne pouvait venir que du malin. On sait ce qu'il en a été.
Rappelons les faits : 1) en mai 1998 le Concile de l’Église Russe Hors-Frontières réaffirme solennellement et unanimement sa condamnation de l’œcuménisme et son refus de toute relation avec le Patriarcat de Moscou. 2) en novembre 1999, miracle de l'invention des reliques du saint Métropolite. 3) en juillet 2001, après de nombreux coups de boutoir, révolution interne au sein du Synode avec limogeage du Métropolite Vitaly, et les exactions subséquentes contre le dernier Primat authentique de l'EORHF. 4) période de six années où, après avoir vainement tenté de tromper les fidèles sur les intentions véritables de la politique menée, on aboutit en mai 2007 à une reddition sans conditions face au Patriarcat de Moscou. 5) depuis cette date suite ininterrompue de renoncements illustrant la leçon du Christ sur l'affadissement du sel /Mt. V, 13/.
À ce tableau sombre il convient d'ajouter une lueur d'espoir : en effet, ce n'est pas toute l’Église, et de loin, qui a suivi une hiérarchie pusillanime dans sa trahison. Toutefois, cet espoir reste teinté de tristesse face à la division où se trouvent ceux qui continuent à porter les principes traditionnels de l'EORHF et restent fidèles au témoignage et à l'enseignement que leur a transmis le saint Métropolite Philarète.
Méditons tous l'ultime testament spirituel de saint Philarète à ses ouailles, trouvé sur sa machine à écrire le jour de sa mort : « Держи, что имеешь / Retiens ce que tu as »(Ap. III, 11).
Le droit canonique connaît le cas le cas de ceux qui, à diverses époques, avaient failli dans leur foi, et l'indulgence qu'il y avait lieu d'appliquer pour faciliter leur retour. Il ne nous appartient pas de juger, notons simplement qu'il s'agissait dans ces temps reculés de fidèles ayant failli face aux persécutions ... Mais revenons à ce mois de novembre 1999 et à la divine surprise de la découverte du corps incorrompu de notre défunt Primat, surprise venant bien mal à propos pour ceux qui dans leur for intérieur avaient déjà trahi et pour lesquels rien, pas même un signe du Ciel, ne pouvait les faire revenir sur leur décision. Alors qu'en toute logique on pouvait s'attendre à des célébrations d'actions de grâce, à une liesse générale, à une sainte joie festive de l’Église entière, on assista à ce qui s'est apparenté à un réel sacrilège : le corps à peine découvert ne fut pas proposé à la vénération des fidèles, mais fut solidement caché à la vue de tous sous une lourde dalle de marbre sous laquelle il repose jusqu'à ce jour.
Alors que les fidèles authentiques de l’Église Hors-Frontières, dans leurs différentes composantes, célèbrent aujourd'hui la mémoire de cette colonne de l’Église, il ne peut évidemment en être de même chez les faillis : tout l'enseignement et la personne du saint Métropolite ne sont ils pas la négation même de ce qu'ils sont devenus ? Peut-être s'évertueront-ils vainement à essayer de faire croire à une compatibilité entre la vénération due au saint Métropolite et leur appartenance au Patriarcat de Moscou, comme ils le font en utilisant les saintes reliques et la mémoire de saint Jean de Shangaï. On ne peut réellement tromper que celui qui veut bien être trompé. Mais, certes, on a bien vu le Patriarcat de Moscou canoniser le saint Tsar-Martyr Nicolas et les saints Nouveaux-Martyrs et Confesseurs de Russie, sans renoncer à glorifier celui qui fut à l'origine de la fondation de l’Église soviétique, le métropolite Serge, et à lui élever encore aujourd'hui des statues ?
Quand on étouffe la voix de sa conscience, tout devient possible. Pour sa part Dostoievsky fait dire à Ivan Karamazov : « Si Dieu n'existe pas, tout est permis ».
Protodiacre Germain Ivanoff-Trinadtzaty
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Invention des reliques incorrompues
de S.B. le Métropolite Philarète
Le métropolite Philarète /Georges Nicolaévitch Voznessensky/, troisième Primat de l’Église Orthodoxe Russe Hors-Frontières, est né le 22 mars 1903 dans la ville de Koursk en Russie centrale, dans cette même cité qui fut illuminée par l’hodigitria de l’émigration russe, l’icône miraculeuse de Koursk, dont nous avons célébré en 1995 le 700° anniversaire de l’apparition. C’est dans cette même ville que, jusqu’à son récent et subit rappel à Dieu, le père Lev Lebedev, une autre colonne de l’Orthodoxie, accomplissait son ministère.
En 1920, le futur métropolite émigre avec ses parents à Kharbine, l’autre grand centre de l’émigration russe en Chine avec Shangaï, où il s’inscrit à l’Institut Polytechnique Russo-Chinois qu’il achève en 1927 avec le titre d’ingénieur électromécanicien. En 1931 il achève ses cours de théologie et la même année reçoit la tonsure monastique avec le nom de Philarète et est ordonné hiéromoine. En 1934 il est élevé à la dignité d’higoumène et en 1937 à celle d’archimandrite. En dépit de son jeune âge, il acquiert rapidement la réputation d’un pasteur particulièrement zélé et aimant, intrépide défenseur de la pureté de l’Orthodoxie. C’est à cette époque qu’il publie un Konspekt po Zakonu Bojiu (manuel d’instruction religieuse) pour des élèves de fin d’études secondaires, qui fut réédité en 1971.
La prise du pouvoir par les communistes chinois le surprend en 1950, mais il refuse d’émigrer une nouvelle fois tant que certaines de ses ouailles restaient à Kharbine. Ce n’est qu’en 1962, à la suite d’innombrables démarches du Synode, que le père Philarète pourra se rendre à Hong-Kong et, de là, retrouver une grande partie de ses anciens fidèles dans l’accueillante Australie. En 1963 il est élevé à l’épiscopat sur le siège de Brisbane. L’année suivante il est, comme tous les évêques, convoqué à se rendre à New-York pour participer au Concile épiscopal de notre Église devant pourvoir au remplacement du métropolite Anastase âgé de 91 ans. Alors que notre Église, après avoir été dirigée par deux éminentissimes hiérarques, à l’autorité et à la réputation incontestées bien au-delà des limites de l’Église Hors-Frontières – le métropolite Antoine /Khrapovitsky/ et le métropolite Anastase /Gribanovsky/ avaient tous deux été pressentis par le Concile Pan-Russe de 1917 pour occuper le siège de patriarche de Russie – se trouvait assurément à un tournant de son histoire, le choix particulièrement judicieux de nos évêques unanimes se porta sur l’évêque vicaire de Brisbane Philarète, le plus jeune, par son ordination, de tous les membres du Concile.
Dès son élection, le 14/27 mai 1964 en la fête de la mi-Pentecôte, le nouveau Primat montra combien était justifiée la confiance de ses confrères et combien il était un digne successeur des deux précédents Primats. Son premier acte de Protohiérarque fut de décider de procéder à la canonisation solennelle le 19 oct./1 nov. 1964 du saint et juste thaumaturge de toutes les Russies Jean de Cronstadt. Cette première glorification avec les saints fut suivie de celles, en 1970, de saint Germain d’Alaska, thaumaturge et missionnaire russe dans les îles Aléoutiennes et, en 1978, de la bienheureuse folle-en-Christ Xénia de Petersbourg qui était vénérée en Russie même depuis plus de deux siècles. Mais ce qui restera pour l’histoire l’œuvre majeure marquant le pontificat du métropolite Philarète, ce fut assurément la glorification solennelle en 1981 de la nuée des saints Nouveaux-Martyrs et Confesseurs de Russie et de la Famille Impériale Russe assassinée en 1918. Parallèlement à cet acte prophétique dont les répercussions se font sentir jusqu’à nos jours, le nom du métropolite Philarète entrera en lettres d’or dans l’histoire de l’Église pour son action décisive pour la défense de l’Orthodoxie contre les attaques multiples venant saper les fondements de notre sainte foi, et tout spécialement contre la pan-hérésie de l’œcuménisme, point d’orgue de toutes les hérésies qui secouent l’Église depuis vingt siècles.
L’anathème de l’œcuménisme, solennellement proclamé en 1983, fut précédé par toute une série d’actes et de documents de grande portée spirituelle et théologique respirant d’une audace proprement patristique. Lui, le plus humble des évêques, n’hésitait pas à interpeller dans deux Épîtres de douleur (1969 et 1972) l’ensemble des patriarches, métropolites, archevêques et évêques du monde orthodoxe, les mettant en garde contre les dérives pernicieuses qui s’imposaient dans certaines Églises locales et qui, à terme, pouvaient porter atteinte à l’intégrité doctrinale de l’ensemble de l’Orthodoxie. Ces Épîtres firent que le nom du métropolite Philarète devint chez tous les membres conscients de l’Église orthodoxe, et notamment au Mont Athos, le symbole de la confession contemporaine de l’Orthodoxie. À ceux qui dénonçaient son “rigorisme excessif”, voire ce qu’ils nommaient son “fanatisme”, il répondait : « J’ai suffisamment de raisons pour m’en tenir à mon point de vue, car j’ai pour cela des autorités éminentes … Ainsi, saint Grégoire le Théologien, la douceur faite homme avec un amour chrétien pour tous, en particulier pour les égarés. Cependant, il nous dit nettement qu’il ne convient pas de chérir toute forme de paix et qu’il ne faut pas redouter toute forme de division … Que faut-il penser du fait que de nombreux “orthodoxes” fréquentent sans distinction n’importe quelle église ? Tout simplement, que ces personnes n’attachent plus de prix à la vérité. C’est pourquoi elles ne se posent pas trop de questions. “À quoi bon se tracasser ? Ils célèbrent tous de la même façon, tout est pareil. Et puis, Dieu est partout le même !”, - ajoutent-ils immanquablement. Mais si les gens aimaient et tenaient à la vérité, pourraient-ils se contenter d’une telle indifférence ?! Non, et mille fois non ! Leur âme les ferait souffrir et elle ne pourrait retrouver son calme que lorsqu’elle verrait où se trouve réellement la vérité qui ne peut être qu’une, car il ne peut y avoir deux vérités » (Lettre du 9/12/1979 à la Mère higoumène Magdalena du monastère de Lesna). Pour justifier son intransigeance et son refus de tout compromis avec le Patriarcat de Moscou et les Églises “officielles” lourdement compromises dans l’œcuménisme et le modernisme, le métropolite Philarète aurait pu invoquer l’attitude et les paroles, publiées dans cette même livraison, de saint Marc d’Éphèse prononcées avant de mourir sur son propre patriarche de Constantinople. Notre actuel Primat, Mgr Vitaly, digne successeur du métropolite Philarète en tant que confesseur de l’unité et de l’unicité de l’Église, affirme à propos de l’anathème de 1983 : « En proclamant l’anathème contre l’œcuménisme, l’Église Russe Hors-Frontières a protégé son troupeau de cette tentation apocalyptique, mais elle a par là-même déposé sur la conscience de toutes les Églises Locales un problème des plus sérieux qu’il leur faudra, tôt ou tard, résoudre d’une façon ou d’une autre. De la réponse qui sera apportée à cette question dépendra leur destin spirituel ultérieur au sein de l’Église Orthodoxe Universelle ».
Ainsi, les actes posés par le métropolite Philarète d’éternelle mémoire apparaissent comme de véritables pierres d’angle pour toute conscience orthodoxe rigoureuse, et comme des pierres d’achoppement pour un grand nombre d’orthodoxes, et en tout premier lieu pour la hiérarchie du Patriarcat de Moscou. Le grand débat qui agite ce patriarcat, les demandes pressantes de la partie saine de ses membres ne sont-ils pas, précisément, la dénonciation de l’œcuménisme et la glorification pleine et entière des saints Nouveaux-Martyrs de Russie ? Et ce n’est pas un hasard si deux des décisions importantes prises lors de notre dernier Concile épiscopal au mois de mai dernier ont été de reconfirmer l’anathème de 1983 et de rappeler la position traditionnelle d’interdire toute relation, à quelque niveau que ce soit, avec le Patriarcat de Moscou tant que sa hiérarchie restera sur ses positions et refusera de faire pénitence.
Après vingt et une années passées à la tête de l’Église Russe Hors-Frontières, le métropolite Philarète s’est endormi dans le Seigneur le 8/21 novembre 1985, jour où l’Église célèbre le saint Archange Michel. Pour des raisons pratiques, mais qui se sont révélées providentielles, le corps du défunt Primat n’avait toujours pas de sépulture définitive et reposait dans la chapelle du cimetière du monastère de Jordanville. Le 3/16 novembre dernier, en prévision du 13° anniversaire de son repos, devait avoir lieu le transfert de son corps à son nouveau lieu de sépulture. L’ouverture du cercueil, effectuée par l’archevêque Lavr en présence de plusieurs prêtres, a manifesté ce signe extraordinaire de la bienveillance Divine pour Son serviteur fidèle : le corps entier, les vêtements, la mitre, le chapelet de couleur verte, jusqu’à la prière d’absolution, simple feuille de papier roulé posée dans la main étaient parfaitement intacts. Seuls les fermoirs métalliques du livre des Évangiles se sont réduits en poussière, prouvant, si besoin était, que la révélation extraordinaire de la non corruption du corps n’était pas due à des conditions atmosphériques particulières ou à quelque autre raison. Ce nouveau signe de Dieu donné à notre Église, notamment à une époque aussi troublée et après toutes les épreuves que nous avons connues ces derniers temps est une nouvelle marque de la miséricorde Divine pour nous pécheurs, une grâce exceptionnelle, imméritée, mais aussi et surtout une indication claire pour chacun de nous, un guide pour notre conduite dans les temps troublés que connaissent l’Église et le monde.
Ce numéro 23 de La Voie Orthodoxe devait être consacré à saint Marc d’Éphèse bien avant que nous n’apprenions l’extraordinaire nouvelle de l’invention du corps incorrompu du métropolite Philarète. De voir ainsi réunies en un même volume ces deux colonnes de l’Orthodoxie n’est certainement pas le fait du hasard, mais de la Providence. Nous voyons là une nouvelle illustration de ce que nous avions écrit à propos du grand théologien russe A.S. Khomiakov (1804-1860) : « Les Pères et Docteurs de l’Église relèvent moins d’une période que d’un esprit et il est tout à fait possible d’être de leur monde aujourd’hui, si l’on possède leur esprit, leur audace et leur amour de la vérité ».
Bienheureux métropolite Philarète, prie Dieu pour nous et pour ton Église, qu’Il la garde pour toujours sur la voie droite que tu avais tracée dans l’obéissance à tes deux glorieux prédécesseurs !
Protodiacre Germain Ivanoff-Trinadtzaty
La Voie Orthodoxe - № 23 — Hiver 1999