Dimanche du Pardon
Lorsqu'une dispute entre des frères survenait dans un monastère, leur père spirituel leur interdisait alors de dire la prière du Seigneur, le Notre Père. Pour quelle raison ? Parce que dans cette prière nous demandons : « Remets-nous nos dettes, comme nous les remettons à nos débiteurs », c'est-à-dire pardonne nos péchés, les dettes étant les péchés, parce que nous les pardonnons à ceux qui nous les ont faits. Ou bien cela peut encore signifier : Pardonne-nous nos péchés pour autant que nous les pardonnons à ceux qui nous les ont faits. Et donc, le starets disait à son fils spirituel « si tu ne pardonnes pas à ton prochain ses péchés, cela signifie que tu demandes au Seigneur qu'Il ne te pardonne pas tes propres péchés. Et je ne veux pas que tu demandes cela, c'est pourquoi, tant que tu n'auras pas fait la paix avec ton frère, abstiens-toi de dire la prière du Seigneur ». Alors, aussitôt, le fautif ne pensait plus qu'à une seule chose : « Quel chrétien suis-je, si je ne peux même pas prononcer la plus importante des prières chrétiennes ? ». Et ce sentiment l'amenait rapidement à comprendre l'impérieuse nécessité de faire la paix.
Ainsi, le Seigneur met en corrélation absolue Sa grâce du pardon de nos péchés avec le fait que nous pardonnions nous-mêmes ceux qui ont des torts envers nous.
Ce soir nous célébrerons les vêpres du Pardon. C'est un très bel office où les fidèles se demandent mutuellement pardon afin d'obtenir pour eux-mêmes le pardon de leurs propres péchés, volontaires ou involontaires, commis consciemment ou inconsciemment.
Il arrive fréquemment que, touché par ce rite solennel et émouvant, le chrétien se prosterne sans hésiter devant son prochain, le priant de le pardonner même s'il n'a jamais eu de différend avec lui, parce qu'il y a des cas où, sans que nous le sachions, nous avons peut-être froissé notre prochain et avons été pour lui l'objet d'une tentation. Seul le Seigneur connait nos péchés volontaires ou involontaires commis contre Lui ou contre nos proches.
Il arrive qu'une personne fasse une profonde métanie devant une autre, mais ne trouve pas en soi suffisamment de grâce pour accorder ce même pardon à celui avec qui il a eu un différend. Notre amour-propre s'y oppose en nous insufflant que nous avons raison et que c'est lui le fautif et donc nous n'avons rien à nous faire pardonner. En réalité, ainsi que le disent les saints Pères, à chaque fois où apparaît un conflit, les deux parties en portent la faute. Il faut l'admettre une fois pour toutes. Si nous étions des chrétiens parfaits, jamais nous n'aurions de disputes, mais puisque ces disputes surviennent, c'est que nous sommes de mauvais chrétiens et on ne peut y remédier qu'en faisant la paix. C'est pourquoi, les saints Pères disaient toujours que lorsqu'une dispute survient, ne cherchez pas à savoir qui a tort, qui a raison, car vous n'aboutirez à rien si ce n'est à vous disputer encore plus. Ce que vous devez, en revanche, faire c'est, en chrétiens, de vous incliner l'un devant l'autre en demandant pardon et vous constaterez que tout ce qui vous divisait et vous troublait disparaitra sur l'heure « comme fond la cire en face du feu ».
Le Grand-Carême est un temps de jeûne et de prière, un temps de pénitence, où nous nous efforçons surtout d'obtenir de la grâce du Seigneur le pardon de nos péchés. Et le Seigneur nous met en garde : si nous ne sommes pas prêts à nous réconcilier avec notre prochain, toutes nos prières afin d'obtenir notre pardon seront vaines. Le Seigneur dira : « Tu n'as pas pardonné, tu ne seras pas pardonné ». C'est, par un effort d'humilité sur nous-même, que nous devons absolument nous réconcilier, surtout avec ceux envers qui nous pourrions éprouver de l'animosité.
Essayons d'y parvenir de toute notre âme, sinon, ainsi que le Seigneur l'a dit dans une de Ses paraboles, notre Père Céleste nous jugera sévèrement. Nous ne devons pas nous réconcilier de façon extérieure, mais de tout notre cœur. Souvenons-nous que l'amour chrétien couvre tout et au nom de cet amour et selon les commandements du Seigneur, pardonnez-nous, pécheurs. Amen.
Saint Métropolite PHILARÈTE