Il se trouvera sans doute des bonnes consciences pour s'indigner de cette évocation "musclée" de Mgr Lavr. Toutefois, gardons-nous de confondre violence et virilité, foi orthodoxe et mièvrerie. Concernant le bilan de l'œuvre de celui qui fut le fossoyeur d'une certaine idée de l'Eglise Hors-Frontières, la rudesse du jugement porté répond exactement à l'affirmation de Khomiakov en réponse à ceux qui lui reprochaient la rudesse de ses propos contre les Latins : ce n'est pas le mot qui est rude, mais le fait. Autrement dit, considérons plutôt les actes de celui qui incarnera définitivement la reddition volontaire et piteuse d'un des tous derniers bastions de vérité face à l'apostasie universelle en livrant aux pourceaux la perle de la confession orthodoxe préservée pendant huit décennies par des hiérarques, des pasteurs et des fidèles qui nous ont transmis ce que mille ans de Russie orthodoxe avait cristallisé de meilleur. Les laudateurs du défunt se sont exclamés à profusion, voyant de la bienveillance divine dans le fait que la mort l'avait surpris le jour du Triomphe de l'Orthodoxie et que le quarantième jour tombait le Jeudi Saint, jour de l'institution de la Sainte Cène. Un même événement peut donner lieu à des lectures différentes, voire opposées, le fait est bien connu. S'il fallait trouver une signification symbolique au hasard des dates, ne serait-il pas plus judicieux de rappeler que pour le Triomphe de l'Orthodoxie l'Eglise fulmine les anathèmes dont certains frappent directement Mgr Lavr dans ses derniers errements et que le Grand et Saint Jeudi l'Eglise rappelle abondamment la trahison de Judas. La coïncidence devient alors lourde de signification et la sentence s'applique également à tous ceux qui ont activement collaboré à la trahison de Lavr ainsi qu'à la masse des médiocres qui, par pusillanimité, participent à un crime qu'ils n'auraient jamais commis d'eux-mêmes et œuvrent dorénavant à l'établissement du nouvel ordre mondial. A tous ceux qui, ne comprenant pas le sens des choses, chantent "Mémoire éternelle", le professeur Jean Besse rappelle le "Damnatio memoriae" que la Rome antique aurait assurément réservé à Mgr Lavr.
La Rédaction
DAMNATIO MEMORIAE
Quand s'éteignaient dans la Rome antique des empereurs au rôle néfaste, on procédait non à leur apothéose, mais à leur damnatio memoriae. On imposait ainsi un lourd silence, comme le relate Suétone, sur les actes et le souvenir de ces Césars maudits que n'honorerait plus aucun buste, aucune statue, aucune inscription.
La mort brutale du Métropolite Laure, à peine dix mois après l'Unia avec Moscou, le 17 mi 2007, et le brigandage de San-Francisco qui l'avait précédée, ne peut qu'inciter l'historien à relire les pages les plus noires de Gibbon et de Montesquieu. Dieu laisse les méchants s'étourdir de vaine gloire avant de les perdre. Qui aurait pu penser qu'à son nouveau retour de Moscou, précédé de son accueil triomphal à Nice et à Cannes, périrait en pleine nuit le pseudo-métropolite qui avait usurpé en 2001 le siège de l'ultime et inoubliable Métropolite Vitaly ? Le triomphe éphémère de l'ancien Secrétaire du Synode hors-frontières, nommé à ce poste en 1967, fut une "victoire la Pyrrhus". Certes, avec son âme damnée l'archevêque Marc (Arndt), il a détruit la juridiction que ses partisans sans scrupules lui avait confiée. La seule institution qui faisait encore reculer le répugnant pouvoir soviétique n'existe plus. Toutefois, un tiers des fidèles n'a pas suivi et, d'ores et déjà, ont commencé les tourments imposés à New-York par MM Poutine et Ridiger, en religion "Alexis II". Leurs partisans, dans l'émigration, commencent à déchanter.
Les métropolites Serge (Stragorodski), qui sera bientôt "canonisé", et Laure (Chkurla), ont plus d'un point commun. En apparence doux, bienveillants, paternels, ils s'accommodèrent de la sovietchina pour imposer sans aménité leur point de vue erroné, intéressé, à courte vue. Comme le répétait la remarquable higoumène de Lesna, Mère Madeleine (Grabbé), "Serge cassa en Russie l'esprit de la confession de l'Orthodoxie". Serge et Laure, sous prétexte d'être de "bons pasteurs", furent des fossoyeurs de l'Eglise russe. Le second paracheva en Occident l'œuvre atroce du premier. Il le fit assez facilement, car il était médiocre et bonasse à une époque d'extrême confusion et de grande médiocrité. La nullité de ses cours à Jordanville et de ses écrits, ne l'égalait pas au talentueux, rusé et intrigant Serge. Sa molle duplicité ne l'élevait pas au rang du sinistre disciple du Métropolite Antoine (Khrapovitski), notre premier primat.
C'est pourquoi il reste plus dangereux. Le monde actuel est dépourvu de mémoire et de connaissances. Les apparences "canoniques", pour citer l'incroyable girouette de Cannes, l'évêque Barnabé, réconcilié avec les Soviets qu'il détestait, suffisent aux gens ordinaires. Pour eux, une église russe se résume à un bulbe doré et son "pope" à une barbe. Cette canonicité d'opérette, les hiérarques de Moscou, de New-York (en double ou triple emploi), de Cannes et de Genève l'ont sans difficulté.
Désormais partout, de Tiflis à Kiev (où Moscou n'a presque plus de paroisses), ils célèbrent même à Paris dans la cathédrale si convoitée de Rue Daru. Comme triomphent le mensonge et l'amnésie ! L'archevêque-exarque Gabriel, qui prétendait en 2007 "sauver le monastère de Lesna du péril moscovite" (sic), comme il l'avait dit à l'auteur de ces lignes, invite huit mois après l'évêque Michel de Genève, rallié à Moscou entre temps, à concélébrer avec lui ! Comment croire à la cohérence d'un tel prélat ? Ou son offre n'était-elle qu'une pieuse ruse ?
La "Nomenklatura" officielle et "canonique" ressemble à la fois à un jeu de marionnettes et à un syndicat. L'unité apparente des mitres rivales, qui se volent prêtres, paroisses et diocèses, comme en Angleterre, n'existe que contre la confession tranquille de l'Orthodoxie. Dès 2002, le brillant Jean-Louis Palierne posait déjà l'unique question qui vaille : Mais où donc se cache l'Eglise orthodoxe ? (Ed. L'Age d'Homme, Lausanne). Mgr Michel (Donskoff) se réjouit à Tiflis de concélébrer avec la Catholicos Elie (Pravoslanaya Rouss, n° 21, Jordanville 2007) qui, il y a peu, donnait ouvertement la communion au théologien dominicain Irénée Dalmais. Dans un oukaze publié dans Rousskaya Mysl le 4 avril 2008, le même prélat encourage les fidèles de l'émigration à aider le Ministère russe des Affaires étrangères à propos du cimetière militaire blanc de Gallipoli. Son collègue de Cannes prêche que tout orthodoxe qui ne reconnaît pas la Patriarchie stalinienne "n'est pas dans l'Eglise" (sic, propos tenus à l'auteur). Et lui, le laudateur effronté du blasphématoire Da Vinci Code au Festival de Cannes, que fut-il donc jusqu'en 2006 ? Son amnésie de Talleyrand de sacristie et d'ancien locum tenens du Métropolite Vitaly n'inspire que le dégoût.
Jamais n'est évoquée la seule analogie qui tienne. Le Patriarcat de Moscou n'est que la variante aggravée de l'Eglise Constitutionnelle française du révolutionnaire Abbé (puis évêque) Grégoire en 1790. Avec ses prêtres jureurs, fonctionnaires de l'Etat anti-chrétien, elle ajoutait le schisme et ses innovations à son idéologie et, ayant le monopole des édifices du culte, traquait, déportait et noyait les vrais prêtres, dont les évêques légitimes étaient réfugiés à l'étranger. Il convient de lire le tout récent Livre noir de la Révolution française paru en 2008 à Paris aux éditions du Cerf.
On ne se moque ni de Dieu ni de l'Histoire, maîtresse de mémoire et de vérité. Seuls peut-être pouvaient le rappeler en termes clairs des Orthodoxes français sacrifiés sans vergogne sur l'autel de la réconciliation avec la hiérarchie stalinienne. En 1917 d'abord, en 1921 en Pologne, en 1940 et 1944 ensuite, puis en Indochine et en Afrique du Nord, des soldats français et russes exilés tombèrent pour s'opposer à la victoire des Soviets et de leurs alliés, de l'Axe comme du Vietminh et du FLN. Leurs descendants ne seront pas traîtres à leur patrie charnelle et spirituelle ; leurs éphémérides abondent en martyrs du III° siècle, de 1793 et de 1944, qui valent bien ceux qu'a canonisés Moscou, parmi lesquels un bon nombre s'était rallié au marchandage de Serge. Ils ne renieront pas les Martyrs royaux et impériaux, de France et de Russie, pour quelques moleben "patriarcal" à Notre-Dame de Paris ou à Saint-Etienne du Mont commémorant simultanément deux hiérarchies également "concordataires", qui auraient répugné l'une et l'autre au Père Wladimir Guettée.
Jean BESSE
Docteur d'Etat en Histoire
Chevalier de la Légion d'Honneur
Auteur des biographies de Dom Besse, du Père Wladimir Guettée et de sainte Elisabeth Féodorovna, La Princesse martyre, éditions Via Romana, Versailles 2008.