Le Dimanche du Pardon

 

Aujourd’hui, c’est le Dimanche du Pardon, le dernier jour avant le Grand Carême. En ce jour, les chrétiens orthodoxes écoutent des chants liturgiques émouvants, se replient sur eux-mêmes et examinent leurs relations avec leurs parents, enfants, proches, amis et collègues. De la chorale, ils entendent l’appel divin à pardonner à tous et pour tout – pour tout ce qui les a blessés, calomniés ou offensés, consciemment ou inconsciemment. Ils s’embrassent avec un sentiment fraternel et se demandent mutuellement pardon.

Dès demain commence le Grand Carême, qui dure quarante jours jusqu’à l’entrée du Christ à Jérusalem. De cette manière, nous suivons les traces du Sauveur, qui a jeûné pendant quarante jours avant de proclamer l’Évangile au monde. Avant Lui, Noé est resté quarante jours dans l’arche. Moïse a passé quarante jours avec Dieu sur le mont Sinaï. Les Israélites ont erré dans le désert pendant quarante ans. Quelle est la signification sacrée du nombre quarante ? Ces jours, ces semaines et ces années représentent toujours une préparation à quelque chose de nouveau. Ce nombre évoque sans doute aussi les quarante semaines de grossesse avant la naissance d’une nouvelle vie. Pour Noé, il annonçait un monde purifié du péché par le Déluge. Pour Moïse, il marquait l’émergence d’un peuple d’alliance. Pour les Israélites, cela signifiait une nouvelle vie en Terre promise. Pour le Christ, il symbolise la naissance du nouvel Israël, libéré du péché, réconcilié avec Dieu et soumis à la loi de l’Esprit, et non à celle de la chair.

Beaucoup d’entre nous savent déjà que le mot slave "post" (carême) a une connotation militaire et signifie "garde" ou "sentinelle". Nous sommes appelés à être des soldats du Christ. Tout comme les soldats font leurs adieux à leurs proches avant de partir au combat, nous devons d’abord nous pardonner mutuellement avant d’entamer la lutte invisible contre les esprits mauvais extérieurs et contre nos ennemis intérieurs – nos mauvaises habitudes, nos passions et nos tentations. Lors de la liturgie d’aujourd’hui, dans l’Évangile de Matthieu, nous lisons : "Si vous ne pardonnez pas aux hommes leurs offenses, votre Père céleste ne vous pardonnera pas non plus vos péchés." (Matthieu 6:14-15). La même logique du pardon est inscrite dans la prière du Seigneur, le "Notre Père" : "Remets-nous nos dettes, comme nous les remettons à nos débiteurs…"

Le diable durcit les cœurs et les remplit de rancune, au point que certains refusent de pardonner et d’oublier. D’autres pardonnent, mais ne peuvent pas oublier. Un troisième groupe parvient à pardonner et à oublier, ce qui est un exploit remarquable. Saint Jean Chrysostome dit que "il est plus facile de pardonner que de se venger." Mais en raison de notre égoïsme naturel, nous préférons souvent nous abandonner à nos passions et rendre le mal pour le mal. "Le principe œil pour œil finira par rendre le monde entier aveugle". Le monde est ainsi fait que le bien exige souvent un grand effort, tandis que le mal se fait avec une facilité tragique. "Le royaume des cieux est forcé, et ce sont les violents qui s’en emparent" (Matthieu 11:12).

Les anciens Grecs avaient déjà compris que la chose la plus difficile pour l’homme est de se connaître soi-même – son âme, ses qualités et ses défauts. Nous sommes constamment occupés par toutes sortes de tâches, discutons avidement de la vie privée des autres, mais lorsque nous restons seuls, ne serait-ce qu’un court instant, nous nous ennuyons et cherchons des distractions. Prenons-nous le temps, avant la confession, d’examiner notre conscience et de nous souvenir de nos fautes envers Dieu et envers les autres ? Après la confession, nous recouvrons souvent notre âme du linceul de l’oubli et préférons scruter celles des autres. Sans voir la poutre dans notre propre œil, nous remarquons la paille dans celui de notre voisin (Matthieu 7:3). Nous ne considérons même pas le commérage, la moquerie et l’accusation des autres comme un péché, mais plutôt comme un agréable passe-temps et un moyen de socialisation.

Saint Paul écrit : "Ô homme, tu es inexcusable, toi qui juges les autres ; car en jugeant autrui, tu te condamnes toi-même, puisque toi qui juges, tu fais les mêmes choses." (Romains 2:1).

L’ancienne tradition des Pères du désert raconte qu’un moine juste du désert égyptien vit un jour un de ses frères commettre un péché. Il soupira et dit : "Malheur à moi ! Comme il pèche aujourd’hui, ainsi je pourrais pêcher demain !"

Souvenons-nous de l’épisode de la femme adultère que les pharisiens voulaient lapider. Lorsque le Christ leur dit que seul celui qui est sans péché peut jeter la première pierre, leur conscience commence à les troubler et leur rappelle leurs propres fautes. Honteux, ils baissent la tête, lâchent leurs pierres et s’en vont (Jean 8:9).

Le pardon n’est pas facile. Parfois, l’effort de pardonner réveille notre orgueil, ravive une ancienne douleur, une indignation endormie ou une haine atténuée. Pourtant, le pardon est indispensable pour pouvoir s’unir au Christ pendant la Sainte Communion. Avant de nous approcher du Calice, nous devons rechercher la paix et demander pardon à ceux que nous avons offensés, mais aussi veiller à ne pas nourrir de haine ou de mépris envers ceux qui ont péché contre nous. Car les dons sacrés peuvent aussi être pour notre condamnation si notre cœur est encore chargé de rancune.

Ce soir, lors du Dimanche du Pardon, regardons les autres dans les yeux et tendons la main pour un pardon sincère, afin de commencer le Carême avec un cœur pur. Je vous prie de me pardonner à mon tour mes faiblesses, mes offenses, ou si je n’ai pas été à la hauteur dans certaines situations, si je n’ai pas su répondre à vos attentes. Pardonnez-moi et que Dieu vous pardonne !

Bon Carême à tous !

 

Prêtre Zhivko ZHELEV