Consécration de la cathédrale russe de Paris

La chaîne télévisée catholique KTO a retransmis en direct dimanche 11 décembre la consécration de la cathédrale de la Sainte Trinité du Patriarcat de Moscou à Paris. Nous n’allons pas reprendre ici toutes les questions, les suspicions, les craintes qui ont accompagné la construction, à deux pas du palais de l’Élysée et de plusieurs ministères importants, de cet ensemble culturel monumental érigé sur un terrain de plus de 4000 m² et comprenant en plus de l’église une école de l’ambassade, des appartements, une librairie, une cafeteria, une salle de concert et d’exposition et d’autres locaux d’ambassade ... On n’en comprend que mieux les discussions et les péripéties liées à ce projet lorsque l’on apprend que ce qu’il est convenu d’appeler la « construction d’une église pour les besoins spirituels des Russes nouvellement installés à Paris », ne sera pas en réalité une propriété religieuse dépendant du Patriarcat de Moscou, mais sera en fait une antenne administrative de l’ambassade locale de la Fédération de Russie, jouissant de ce fait du statut d’immunité diplomatique … avec tout ce que cela entraîne et sous-entend !

Mais c’est là une tout autre question et ce n’est pas l’objet de cet article. Disons simplement que, même si cette réalisation n’est pas un chef d’œuvre d’un point de vue artistique, grâce à Dieu, nous avons échappé au premier projet architectural dans le style Walt Disney, qui aurait défiguré ce magnifique quai Branly et aurait couvert de honte l’Orthodoxie russe aux yeux des Français.

Et donc, nous avons visionné cet enregistrement de près de 3 heures et voulons faire part de nos impressions concernant plus précisément la célébration.

La première impression qui se dégage, il convient de le reconnaître objectivement, – le Patriarcat a frappé là ‘‘un grand coup’’ ! On ne peut qu’être impressionné par cette démonstration de force en plein cœur de Paris.

Une bonne douzaine d’évêques, parmi lesquels, bien évidemment (!), l’ancien évêque de l’Église Hors-Frontières Michel-Siméon Donskoff de Genève ; une quantité colossale de prêtres ayant passé tout l’office alignés en rang dans la nef et n’ayant pénétré dans le sanctuaire que pour communier ; un premier protodiacre à la basse impressionnante, ainsi que tous les diacres d’un très bon niveau vocal ; deux chorales, présentées comme étant la chorale paroissiale et celle du séminaire, mais sans l’ombre d’un doute renforcées, selon la coutume du Patriarcat, par des chanteurs, et notamment chanteuses, professionnels, ce qui a donné un effet musical parfait, sans que l’on puisse en dire autant de l’aspect priant ; des servants qui, lorsqu’ils sortent du sanctuaire avec des cierges, se déplacent avec une vivacité qui nous semble inutile, mais c’est là encore conforme à ‘‘l’école du Patriarcat’’, un maniement perpétuel du micro que l’on déplace continuellement ou que l’on se transmet de main en main ; mais ce qui frappe le plus, c’est la présence de nombreux gardes du corps (!) avec oreillettes et communicant entre eux par des mini-micros. La vision de ces mastodontes effrayants ne dispose pas à la prière et ne peut que choquer, notamment lorsqu’ils se placent juste devant le Calice et filtrent littéralement ceux qui en approchent pour communier. Est-ce vraiment à eux qu’incombe ce rôle ?; en revanche il est réconfortant de voir dans l’assistance de nombreux visages priants.

Après ces remarques générales, passons maintenant aux principales différences remarquées dans la célébration même de la Liturgie.

L’exclamation du protodiacre « Seigneur, sauve ceux qui sont pieux » /Gospodi, spassi blagotchestivyié/ se rapporte, comme on le sait, aux Monarques orthodoxes et était proclamée à l’origine lors de l’entrée du Tsar, de l’Empereur, dans l’église. Dans l’Église Hors-Frontières cette exclamation n’a jamais été supprimée et a été perpétuéeen signe de pieuse mémoire du temps béni où la Russie et d’autres pays avaient de pieux monarques à leur tête, mais également du fait que cette exclamation peut de nos jours avoir une autre destination et se rapporter, par exemple, aux pieux fidèles. Durant la période soviétique, pareille exclamation ne pouvait que sentir le soufre et avait été totalement proscrite. Que l’on pense, si même le signe dur avait été supprimé de l’alphabet et était considéré comme contre-révolutionnaire, de quelle prière pour les pieux souverains pouvait-il être question ! Et cette exclamation avait été absolument rayée de l’office durant les longues décennies du joug soviétique. A la fin du siècle dernier, l’Union soviétique s’étant désintégrée, une incroyable attirance s’est manifestée pour l’Église Russe Hors-Frontières et l’Émigration Blanche en général. Certes, cet attrait n’a pas duré très longtemps et a totalement disparu aujourd’hui où, tant le Patriarcat de Moscou que le pouvoir civil, veulent prétendre être les dignes héritiers de la Russie éternelle. Mais, il fut un temps où tout devait être copié sur ceux que pendant soixante-dix ans on avait appelés les ‘‘bandits blancs’’ et, durant la deuxième moitié des années quatre-vingt-dix, il a été décidé de rétablir l’exclamation un temps honnie, toutefois ce qu’il nous a été donné d’entendre lors de cet office laisse une impression de profond malaise. Tout d’abord, cette exclamation ne fut pas faite comme il se doit à la fin du chant des tropaires du jour, mais après le « gloire », interrompant ainsi le chant solennel des hymnes glorifiant les saints célébrés ce jour par une interminable commémoration nominative des quinze chefs d’Églises autocéphales avec leur titre complet et le vœu de « nombreuses années» à chacun, puis au pays, au pouvoir, à l’armée, à tous les chrétiens orthodoxes et évidemment plus fort que pour tous les autres – au ‘‘patriarche’’ Kirill Goundiaev. Pareil flot de paroles, manifestement déplacé à ce moment de la célébration, ne peut que rompre le rythme de l’office. Et de suite après est venu le « et maintenant » avec le kondakion de la fête majeure du jour, l’Entrée de la Très-Sainte Mère de Dieu au Temple, qui avait dû ainsi attendre patiemment son tour Bizarre, pour le moins

Puis, était-ce pour ne pas rallonger l’office et rattraper ainsi le temps perdu par toutes ces commémorations et ces vœux, une lecture de l’épître et une lecture de l’évangile furent omises.

Lors de la litanie instante, furent commémorés comme il se doit les défunts pieux patriarches orthodoxes d’éternelle mémoire, tandis que la prière pour les défunts pieux et justes souverains et souveraines a été omise, sans doute un reste symptomatique de la période soviétique. Immédiatement après l’ecténie instante, lorsque chez nous est lue la « Prière pour le salut de la Russie », a été lue une prière pour la cessation des hostilités militaires en Ukraine et là nous avons constaté avec stupeur que l’on passait directement à « l’Hymne des chérubins » et à la « Grande Entrée », enjambant ainsi et ignorant totalement la moindre évocation ou prière pour les catéchumènes … Nous savions qu’un tel ‘‘raccourcissement simplificateur’’ était pratiqué dans l’Église très libérale du Patriarcat de Constantinople, mais nous pensions que le Patriarcat de Moscou s’en tenait, ne serait-ce qu’extérieurement, à une forme plus traditionnelle de célébration.

Nous avons déjà noté que le premier protodiacre était doté d’une très belle voix, une belle basse, et nous nous attendions à entendre une très belle « vyklitchka » – litanie spéciale prononcée uniquement lors d’un office présidé par un évêque. Mais là encore, malheureusement, c’était compter sans doute sans la fameuse ‘‘école du Patriarcat’’. Alors que l’on aurait pu s’attendre à un récitatif mélodique et puissant, il nous a été donné d’entendre une sorte de rugissement désordonné ne ressemblant à rien. Dommage. Lorsqu’un homme est doté d’un tel don divin, c’est pécher que de le brader ainsi en vain. Nous sommes certains que tous ceux qui écouteront cet enregistrement partageront notre sentiment.

Le chœur des séminaristes a fait l’effort louable d’alterner les chants en slavon et en français. Ils ont notamment chanté le fameux « Notre Père » dans l’harmonisation de N.N. Kédroff, mais malheureusement d’après les paroles de la traduction dite œcuménique, se concluant non par « délivre nous du malin », mais par « délivre nous du Mal ». Toujours cette gêne de ‘‘notre monde civilisé’’ à parler du diable et à admettre qu’il est bien le prince de ce monde. Certes, il est possible de mettre beaucoup de choses sous ce concept de « Mal » et même d’admettre qu’en fin de compte tout le mal et tous les maux ne proviennent que du diable. Mais pourquoi s’obstiner à ne pas appeler les choses par leur nom ?

On ressent plus que de la gêne, un sentiment de consternation, lorsque l’on voit au moment de la Consécration des Saints Dons la caméra plonger pratiquement dans le Calice et lorsqu’on entend toutes les prières afférentes, en principe secrètes, retransmises à qui veut bien les entendre à la télévision. Et ceci en présence, et manifestement avec l’autorisation, de tous les évêques présents et du ‘‘patriarche’’ en personne. Comment font pour prier, dans de telles circonstances, ceux qui se tiennent autour du saint Autel ? … La question mérite d’être posée, mais reste sans réponse.

Sortons du sanctuaire et suivons ce qui se passe dans la nef où les fidèles orthodoxes se pressent pour recevoir la Communion. Personne, apparemment, ne vérifie qui approche du Calice, mais c’est là une question qui relève de la conscience de chacun, que ce soit celui qui communie ou celui qui distribue la Communion. Il est étonnant de voir que la première personne à recevoir le Corps et le Sang du Christ est l’épouse du Premier-Ministre Svetlana Medvedev. Il est tout à fait possible qu’il s’agisse d’une personne orthodoxe particulièrement digne, mais elle n’est pas revêtue de l’onction divine, comme l’étaient les Tsars, pour communier avant les hypodiacres consacrés revêtus de leurs habits liturgiques. Il est également étonnant de constater que de temps en temps, parmi les fidèles, approchent des prêtres en soutane avec la croix pectorale et que le ‘‘patriarche’’, sans un mot et sans le moindre étonnement, leur distribue la Communion à la cuillère, comme à de simples fidèles laïques. Nous avons déjà évoqué, l’impression désagréable résultant de la présence pesante de ces gardes du corps se conduisant en maîtres à l’intérieur de l’église, se tenant sur l’ambon, dos au sanctuaire, jambes écartées, ou bien filtrant un à un les fidèles approchant du Calice …

Toutes ces remarques peuvent sembler être de simples critiques faciles et malveillantes de notre part, mais nous prions de croire que pour une personne qui n’a jamais assisté à un office du Patriarcat de Moscou, de plus pontifical et de surcroît patriarcal, et tout en admettant très bien la possibilité de différences de détails dans la célébration, force est de reconnaître que nous avons relevé et constaté des pratiques, certaines surprenantes, d’autres selon nous proprement inadmissibles, prouvant une fois de plus si besoin était qu’entre ‘‘eux et nous’’ il y avait encore nombre de petites et de moins petites différences, ne serait-ce que dans les pratiques extérieures de la foi, sans même parler de ce qui nous sépare de façon bien plus profonde. Qui, mieux qu’un patriarche, devrait savoir que l’on ne s’agenouille pas devant la Communion lors d’une Liturgie dominicale ? S’il voulait montrer par là son humilité, il devrait alors savoir que l’on n’entre pas à l’intérieur du sanctuaire avec sa crosse. Comme nous l’expliquait notre archevêque d’éternelle mémoire Antony de Genève, la crosse est le symbole du pouvoir de celui qui la tient dans sa main, mais de quel pouvoir humain peut-il être question à l’intérieur du sanctuaire, c’est-à-dire dans le Saint des Saints ? C’est pourquoi, entrant dans le sanctuaire, l’évêque, consciemment et symboliquement, abandonne sa crosse sur le côté droit des portes royales, ne se permettant jamais de pénétrer avec à l’intérieur.

Cette évocation de notre cher Mgr Antony – oh, combien cruellement nous manquent aujourd’hui des personnes comme lui ! – nous remet en mémoire un autre événement religieux d’importance, qui s’était également déroulé à Paris il y a vingt-huit ans, lorsque notre archidiocèse d’Europe Occidentale célébrait le Millénaire du Baptême de la Russie. Certes, cet événement n’avait certainement pas l’ampleur quantitative de celui dont nous parlons ici, bien qu’il eût réuni trois évêques, des dizaines de prêtres et diacres, des centaines de fidèles qui s’étaient rassemblés dans l’église roumaine dépendant de notre Synode, la plus grande église orthodoxe de la région parisienne. Si cet événement était effectivement moins important quant au nombre, il ne cédait en rien à celui du Patriarcat au plan spirituel et de la majesté de la célébration. Il suffit de rappeler ici un simple extrait de l’homélie de notre Archevêque Antony à la fin de cette Liturgie solennelle. Mgr Antony sortit du sanctuaire, repoussa un micro qui avait été mis par mégarde, et de sa voix si caractéristique de puissance et de majesté nous délivra son enseignement sur la fête grandiose qui nous avait rassemblés :

« Que tous soient un, comme Toi, Père, Tu es en Moi et Moi en Toi ! C’est ainsi que priait notre Divin Sauveur pour tous ceux qui croient en Lui. S’Il est aujourd’hui avec nous, bien-chers frères, si nous sommes en Lui, il ne peut exister aucune division entre nous. Nous sommes l’Église une, confessant d’une seule bouche et d’un seul cœur notre Sauveur. Avec nous se trouve aujourd’hui la Très-Pure Vierge Marie dans l’image de ses deux icônes miraculeuses, l’icône de Lesna et l’icône myrrhoblite d’Iviron /…/ Biens-chers frères et sœurs, avec nous se trouve aujourd’hui toute l’Église russe qui a parcouru le chemin millénaire de son histoire, avec nous se trouvent tous les Martyrs et Confesseurs Nouveaux de l’Église russe. Vous savez que durant ces mille ans l’Église russe connut peu de saints Martyrs, et voilà qu’à la fin de ce millénaire elle en a manifesté des millions. C’est là un MIRACLE grandiose de l’Église russe ! Alors que le monde contemporain s’est détourné du Christ, l’Église russe, elle, a manifesté ce miracle universel, le miracle de ses saints Nouveaux-Martyrs et Confesseurs. Dans cette multitude de Martyrs réside aujourd’hui la gloire de notre Église. C’est pourquoi, nous qui nous sommes rassemblés ici, nous nous réjouissons et sommes dans l’allégresse. Se réjouissent avec nous toutes les Églises orthodoxes. Nous voyons parmi nous des Roumains orthodoxes qui ont mis à notre disposition cette magnifique église, nous voyons parmi nous des Serbes orthodoxes et des Français orthodoxes qui se sont convertis à l’Orthodoxie. Tous ensemble, mes bien-aimés frères et sœurs, aujourd’hui, durant cette période pascale, nous chantons « Réjouis-toi, réjouis-toi nouvelle Jérusalem » ! La nouvelle Jérusalem – c’est l’Église russe ! La gloire du Seigneur a resplendi sur toi! » …

Oui, c’était une autre époque ... C’était d’autres hommes ... Il y a matière à comparer ... Et il y a pour chacun matière à apprendre.

Protodiacre Germain Ivanoff-Trinadtzaty

Lien pour visionner la consécration de la cathédrale du Patriarcat de Moscou à Paris (décembre 2016):

http://www.ktov.com/video/00134455/consecration-de-la-cathedrale-orthodoxe-russe-a-paris

Lien pour visionner le film du millénaire de la Russie. Diocèse d’Europe Occidentale, Église Orthodoxe Russe Hors-Frontières (juin 1988):

https://www.youtube.com/watch?v=ByvinUWB1Xs&feature=youtu.be