Perspectives  vaticanes

 

 

Il est d'usage de dire que d’une personne décédée il faut parler en bien, ou garder le silence. Nous choisirons donc de ne rien dire …

En principe, le sort de l'Église catholique ne devrait pas préoccuper particulièrement les orthodoxes - chacun a ses propres affaires, ses propres difficultés et sa propre voie. Nous savons où se trouve la Vérité, et il nous est seulement demandé de suivre ce chemin et ses enseignements. Néanmoins, par son très grand nombre de fidèles et son universalisme, l'Église catholique, avec son milliard et demi de membres, influence inévitablement le destin du monde, en particulier des croyants, quelle que soit la religion à laquelle ils appartiennent. Qu'on le veuille ou non, les réformes constantes introduites après le Concile Vatican II ont un impact sur chacun, ne serait-ce que parce qu'il faut expliquer et justifier pourquoi on ne suit pas la marche solennelle du monde, qui va là où nous savons tous qu'il va. Mais le temps viendra peut-être où les explications et les justifications deviendront insuffisantes et où chacun, de par la loi, devra obéir à toutes les innovations qui sont contraires à nos convictions et à notre vision chrétienne du monde.

Laissons donc le sort du pape récemment décédé au jugement de Dieu, d'autant plus que nous avons déjà écrit plus d'une fois à son sujet et réfléchissons sur les perspectives éventuelles qui s’ouvrent devant le Vatican.

Qui sera le futur Pape ? Quel successeur ? S'agira-t-il d'un disciple du défunt François ou, au contraire, d'un homme qui aura au moins le désir d’empêcher le navire ecclésial de sombrer dans l'abîme, ainsi que son prédécesseur Benoît XVI avait honnêtement tenté de le faire, mais sans y parvenir ?

Disons-le d’emblée : il est tout à la fois dangereux et vain d’essayer de deviner ou de faire des prédictions, notamment dans ce domaine. Ce n'est pas pour rien que le proverbe dit : «Celui qui entre au conclave comme pape en sort comme cardinal». Il ne faut donc pas considérer comme élu celui qui, à la veille des élections, peut apparaître comme un favori. En la matière, il y a plus de chances de se tromper que de deviner avec certitude.

Essayons toutefois de dresser un tableau du pré-conclave et les noms de quelques successeurs possibles. Disons tout de suite que les candidats libéraux et de gauche ont le plus de chances, ne serait-ce que par le fait qu“un très grand nombre ont été élevés à la dignité cardinalice par François lui-même. Et là, nous nous souvenons que le métropolite Nicodime de Leningrad avait, en un peu plus de 15 ans, ordonné quelques trente-cinq évêques, ceux que l’on avait appelés "la garde de Nicodime", et qui avaient été placés à tous les postes clés du Patriarcat de Moscou, ce qui détermina le cours du navire patriarcal presque jusqu'à aujourd'hui. Le dernier protégé de Nikodime n'est autre que Kirill Gundyaev. François, avant de rejoindre le Père, s’était constitué une garde similaire et probablement avec la même arrière-pensée - continuer de vivre après sa mort. Mais n'oublions pas que lors d'un conclave, chaque électeur est tout à fait libre, et n'est responsable devant personne d'autre que sa conscience et Dieu du vote qu’il exprime dans le secret.

Commençons donc par celui qui semble avoir le plus de chance dans cette course au siège papal. Il s'agit certainement du dernier secrétaire d'État, c'est-à-dire une sorte de Premier ministre, le cardinal Pietro Parolin. Qui est le cardinal Parolin ? Un de ces protégés de François et son plus proche collaborateur. Ayant lui-même accédé à la plus haute charge en 2013, François avait immédiatement éloigné le cardinal Bertone, un conservateur qui avait servi pendant de nombreuses années en tant que secrétaire d'État sous Benoît XVI, pour nommer Parolin, un apparatchik du Vatican sans expérience pastorale, mais un diplomate professionnel, un libéral de gauche. Certains l'appellent le nouveau cardinal Casaroli. Alors qu'Agostino Casaroli a laissé le souvenir d'un promoteur de l'Ostpolitik, la politique de rapprochement avec l'Union soviétique de Gorbatchev, Parolin a ouvert la voie au rapprochement avec la Chine communiste en signant, il y a sept ans, un accord secret avec Pékin sur la manière de nommer les évêques. Rappelons que, curieusement, il existait deux Églises catholiques en Chine. L'une, traditionnelle, reconnue par le Vatican, évitant les relations avec le pouvoir civil, mais plus ou moins tolérée par ce pouvoir ; l'autre, officielle, reconnue et, dans une certaine mesure, promue et nommée par les autorités communistes, mais non reconnue officiellement par le Vatican. En d'autres termes, pour employer un vocabulaire et des images russes, il s’agirait dans un cas des "Catacombes" et dans l’autre du "Sergianisme". Ainsi, au nom de François, Parolin, sans inviter l'Église traditionnelle aux négociations et sans l'informer, a signé un accord secret avec les autorités communistes pour reconnaître la soi-disant Église "sergianiste". Cela en dit long…

Mais cette orientation diplomatique de gauche ne suffit pas à caractériser ce double de feu François. Parolin s'est également distingué en étant le premier membre de l'Église à assister à une réunion du Club Bilderberg et, de façon non moins curieuse, il y a un mois, en mars 2025 en plein Carême chrétien, il a été invité à partager la table du Ramadam à Rome avec des musulmans. Comment, au vu de ses actes, ne pas voir en lui un candidat des "globalistes" au trône papal. Et ajoutons à tout cela son partage des errances papales sur la question des LGBT, domaine où il aurait très bien pu prononcer la phrase fameuse de François : Qui suis-je pour juger ? Et si de plus nous tenons compte de son aversion non dissimulée pour la messe traditionnelle en latin, à propos de laquelle il aurait déclaré dans une conversation privée rapportée par une personne digne de confiance : «Nous devons enfin nous débarrasser de cette messe pour de bon».

Ainsi, comment ne pas se rendre compte que pour les catholiques strictement conservateurs, la possible élévation du cardinal Parolin au trône papal, selon certains d'entre eux, devrait être accueillie non par un son de cloche, mais par un concert de casseroles. Toutefois, exprimant une touche d'optimisme, un expert traditionaliste du Vatican a émis la réflexion laconique suivante : «Le pire ne se réalise pas toujours nécessairement» ....

Examinons maintenant les chances du camp adverse.

Le cardinal Robert Sarah semble être le candidat le plus probable au trône papal parmi les conservateurs, cependant – les conservateurs ont-ils une chance ? Néanmoins, même des journaux comme Le Monde, et des publications catholiques comme La Croix et le Catholic Herald, envisagent ses chances comme étant possibles. Il est intéressant de noter que les médias démocratiques et le grand public, tout en réfutant ses opinions conservatrices, le traitent avec respect, ce qui est peut-être dû au fait que le cardinal Sarah est africain, un Guinéen de pure souche. Un Pape noir, voilà ce qui, pour les progressistes, peut même pardonner son évident conservatisme !

Quant au fait que le cardinal Sarah soit un conservateur bien réel, lui même n’en fait pas mystère, ne craignant pas d’assumer calmement des principes considérés par beaucoup comme dépassés et nullement politiquement corrects. Depuis l'élection du pape François en 2013, le cardinal guinéen s'est opposé au pontife argentin sur un certain nombre de questions essentielles chères au pape comme l'immigration, les tentatives d’étouffement de la messe en latin, mais surtout le mariage homosexuel. Ainsi, il dit sans ambage que le mariage homosexuel est «une hérésie qui porte gravement atteinte à l'Église». Dans un livre de vulgarisation publié en 2020, Robert Sarah parle de «l'effondrement de l'Occident» et critique sans détour les «processus migratoires». Comme il l'a expliqué sur une chaîne télévisée française, son objectif est d'aider l'Afrique à se développer pour que ses jeunes trouvent du travail en Guinée et n'immigrent pas en Europe. Il n'a même pas peur de dire que l'ère coloniale a beaucoup apporté à l'Afrique et aux Africains, que les Européens n'ont pas à rougir et qu’ils devraient être fiers de tout ce que la civilisation européenne a apporté au monde. Il exprime toutes ces pensées calmement et avec conviction, mais il est clair qu'une telle vision du monde va à l'encontre de l'opinion publique dominante aujourd'hui. Il faudrait donc beaucoup de courage aux cardinaux pour voter pour un homme ayant de tels principes et une telle vision du monde, surtout si l'on considère la composition du conclave, constitué, comme nous l'avons dit plus haut, pour une grande partie de cardinaux idéologiquement proches du pape François.

Mais le cardinal Sarah n'est pas le seul opposant à la pensée papale, il y en a d'autres qui sont tout autant dignes de respect pour leur défense de la tradition, certes, avant tout la leur, la tradition catholique, mais qui parfois recoupe la nôtre, ce qui ne peut être dit du catholicisme du défunt pape François. Parmi ces traditionalistes, on trouve le cardinal Gerhard Müller, un conservateur intransigeant qui, à l'époque du covid, soutenait que le coronavirus était utilisé par les mondialistes comme un moyen d'assujettir et de contrôler totalement les populations. Muller déplorait vivement que le Vatican se soit volontairement engagé dans cette voie et ait demandé aux catholiques de se soumettre à cette politique coercitive. En tant qu'ancien préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, il s'était opposé à plusieurs reprises à la politique réformatrice de François. En ce qui concerne l'encyclique Fiducia Supplicans bénissant le mariage homosexuel, il a exprimé sans détour son désaccord fondamental avec l'encyclique papale, déplorant qu'au lieu d'un enseignement clair de la parole de Dieu, elle appelle à se soumettre à «cette idéologie LGBT totalement erronée». Il a été encore plus clair dans une interview publiée au sujet de cette "lubie" papale apparue sans aucun fondement : «Le chaos qui en a résulté et le danger auto-infligé à l'unité de l'Église devraient être considérés comme une leçon pour s'abstenir à l'avenir de telles pitreries de la part de nouveaux venus qui veulent tout faire différemment de leurs prédécesseurs, et imposer de manière autoritaire leurs opinions subjectives et irréfléchies à l'ensemble de l'Église». Le tumulte assourdissant qui suivit la publication de l’encyclique contraignit le pape à s'exprimer, à tenter de se sortir d'une manière ou d'une autre de l'embarras, et il déclara que ce n'était pas le mariage homosexuel qui était béni, mais ... les personnes qui avaient contracté un tel mariage … Ah, ces Jésuites, décidément incorrigibles !

De l'extérieur, il est difficile d'imaginer le rejet que le pape François a suscité par ses décisions déstabilisantes qui ont conduit son Église au bord du schisme. Parmi ses partisans, il y a, comme toujours en pareil cas, la masse, prête par définition à tout avaler, et les catholiques qui ne le sont que de nom. Parmi ces partisans, il n'y avait que peu de catholiques réellement convaincus ; en revanche, dans le camp opposé, des accusations d'hérésie ont même pu être lancées contre François. Nous avons vu comment, pendant tout une semaine, des foules de dizaines de milliers de personnes ont pu pleurer un mythique "pacificateur miséricordieux", sans manifestement voir ou comprendre quel genre de pacificateur miséricordieux était ce pape ... Si on compare le défunt à des prélats aussi éminents que Sarah, Müller, Burke, Schneider, Kaffarra, Brandmüller, Meissner, etc., qui occupent, ou ont occupé, les plus hautes fonctions curiales, et qu'on se souvient de leurs jugements très critiques à l'égard de ce "vicaire du Christ", il y a de quoi s'interroger. Les prélats traditionalistes sont explicites : la question n'est pas de savoir si l’on est pour ou contre le pape François, mais la question est que les enseignements et la doctrine de l'Église catholique soient défendus et confirmés, et dans cette logique sont condamnées les idées et les mœurs du monde moderne qui s'infiltrent maintenant dans l'Église sous le couvert de la «pastorale miséricordieuse» du défunt Pape.

La dernière incongruité contre laquelle une grande partie des catholiques raisonnables s'est ouvertement rebellée, a été le discours de François à Singapour à la toute fin de 2024, où il a stupéfié les prélats qui l'entouraient : «Dieu est Dieu pour tous, et si Dieu est Dieu pour tous, alors nous sommes tous des fils et des filles de Dieu. Toutes les religions sont des chemins qui mènent à Dieu. Elles sont, si je puis dire, semblables les unes aux autres, comme des langues différentes, des dialectes différents pour atteindre Dieu».

Pour le monde moderne impie ou pour "des catholiques de papier", cela peut paraître une vision doctrinale très séduisante et tout à fait dans l'esprit de la «pastorale miséricordieuse» si chère au Pape François, mais comment corréler une telle doctrine du "vicaire du Christ", avec la doctrine du Christ Lui-même ? Pour le pape François : «Toutes les religions sont des chemins vers Dieu», et pour notre Seigneur Jésus-Christ : «Je suis le chemin, la vérité et la vie. Personne ne vient au Père si ce n'est par moi». Pour Bergoglio, les religions sont comme des langues et, de même que toutes les langues glorifient Dieu, toutes les religions mènent également à Dieu. Et pour que cela soit clair pour tous, il précise : «Certains d'entre vous sont sikhs, d'autres musulmans, d'autres hindous, d'autres chrétiens - ce ne sont que des chemins différents».

Des demandes d’explications officielles exprimant la perplexité face à des propos aussi scandaleux ont été adressées au pape, mais François est resté sourd, ne donnant aucune réponse aux appels écrits des cardinaux, et il n'est revenu qu'une seule fois, lors d'une audience, sur cette question pour dire que les critiques émanaient de «personnes qui ne comprennent pas» et il s'en est allé ainsi dans l’autre monde sans revenir sur ses propos.

Voilà donc le tableau et le dilemme auxquels l'Église catholique est confrontée : continuer à marcher sur les pas de François ou tenter de sortir de semblables chemins périlleux, comme son prédécesseur avait essayé de le faire avec le résultat que l'on sait.

Mais en dehors du choix entre les cardinaux Parolin et Sarah et leurs semblables, il y a entre ces deux extrêmes une multitude de possibilités, sachant en outre que tout baptisé, même simple laïc, peut être élu pape. Les Français, dont le premier d’entre eux, veulent croire aux chances d’un Français et poussent en avant le cardinal Aveline, récemment élu à la présidence de la Conférence des Évêques de France. Pour notre part cette idée nous semble totalement incongrue (mais qui sait ?!). Certes, farouchement immigrationiste, pro-LGBT, politiquement et doctrinalement à gauche il coche tous les poncifs à la mode et sa bonhomie de pied-noir peut faire le reste. Créé cardinal en août 2022, c’est un homme avenant, doté d’une parole facile, on dit de lui à Marseille, ville dont il est archevêque, que lorsqu’il a fini de parler on a envie de crier bis (!), mais de là à recueillir une majorité de voix au conclave, il y a un pas – énorme – que nous ne saurions franchir. Sa popularité, si tant est qu’elle existe, ne franchit pas les frontières de l’hexagone.Toutefois, plus l’échéance de l’élection approche, plus ses partisans parlent de ses chances. Pape, il serait un suiveur de la ligne Bergoglio, en plus aimable et accommodant, mais on serait loin du redressement doctrinal que tant de catholiques espèrent.

Contraint de démissionner, Benoît XVI avait admis dans une interview que le règne papal de François lui avait laissé un sentiment amer de déception... Le prochain conclave parviendra-t-il à adoucir cette amertume pour les catholiques ?

 

Protodiacre Germain Ivanoff-Trinadtzaty