CENTENAIRE de

L’ÉGLISE ORTHODOXE RUSSE HORS-FRONTIÈRES

et le Sergianisme

 

Il y a 100 ans, le 20 novembre 1920, le saint Patriarche Tykhone posait un acte véritablement prophétique : il inventait en quelque sorte un principe ecclésiologique nouveau, né de circonstances tout à fait nouvelles et exceptionnelles, et qui fut d’une remarquable clairvoyance. Beaucoup de personnes, groupes, essaient aujourd’hui de se rattacher à cet oukase-décret n° 362, pris conjointement avec le Saint Synode et le Conseil Ecclésiastique supérieur, avec des fortunes et des justifications diverses ce qui pourrait à la longue le banaliser. Toutefois, la pertinence absolue de la promulgation de l’acte du saint Patriarche se vérifie dans l’application qui en a été faite dès les premiers jours par nos Pères dans la Foi, qui furent la conscience spirituelle de l’Émigration Russe Blanche dont nous célébrons également le centenaire. Cet oukase centenaire a, dans une certaine mesure, permis à l’Église Russe de perdurer à travers un siècle sanglant sans précédent en portant la voix des Martyrs, de dénoncer les iniquités du système bolchévique et de dénoncer la politique d’union contre-nature entre une partie de l’Église avec ce système athée et satanique.

Cette soumission devenue fusion a transformé l’Église officielle en Russie en relais du pouvoir athée auprès des croyants et de l’opinion publique internationale. L’Église Hors-Frontières /EORHF/ a assumé durant le siècle écoulé un rôle de témoignage de la Vérité, mais était souvent une voix criant dans le désert dans l’indifférence générale d’un monde définitivement oublieux du Christ et de ses principes. Indifférence se muant parfois en hostilité de la part des Églises officielles du fait de sa confession rigoureuse de la Foi orthodoxe qui venait flétrir les dérives libérales de l’Orthodoxie officielle, faisant de l’EORHF, en dépit de son petit nombre et de son statut particulier, une authentique conscience de l’Orthodoxie. Aujourd’hui on n’en comprend que moins les raisons qui ont pu pousser un grand nombre de ses membres d’abandonner ce bon combat, de cesser ce témoignage de Vérité en se fondant dans l’Église officielle du Patriarcat de Moscou /PdM/ pour partager dorénavant ses dérives tant doctrinales que morales.

Mais pour mieux appréhender les raisons profondes, inhérentes à la Foi et non simplement politiques comme trop souvent on tente de le faire, il faut se pencher sur ce qui a été, et reste, la raison de la rupture entre l’EORHF et le PdM – le sergianismequi de simple soumission s’est transformé en fusion entre les intérêts du pouvoir athée militant et ceux de l’Église. La réfutation du fait sergianiste correspond à une vision en réalité authentiquement chrétienne de la Foi que nous avons reçue de nos Pères, raison pour laquelle il est question de canoniser, à l’occasion de ce centenaire, les quatre Primats successifs, les Métropolites ANTOINE (Khrapovitsky / 1920-1936), ANASTASE (Gribanovsky / 1936-1964), saint PHILARÈTE (Voznessensky / 1964-1986) et VITALY (Oustinoff / 1986-2006).

Le sergianisme est une politique née dans la tourmente révolutionnaire du fait d’un seul homme, le métropolite Serge /Stragorodsky/, qui, outrepassant ses droits signa au nom de l’Église Russe une Déclaration de loyauté à l'égard du pouvoir soviétique dans l'espoir d'une éventuelle et illusoire liberté d'existence de l’Église. Espoir cruellement démenti dans les faits : l'Église perdit sa liberté intérieure, sans que les répressions et les persécutions sanglantes diminuent pour autant. Cette politique d’un homme seul au départ, ainsi que nous le verrons ci-dessous dans le bref survol historique de la naissance du sergianisme, se transforma au fil des ans en doctrine de fait du PdM. Si aux premiers temps il était possible d’invoquer pour sa justification la crainte des répressions, voire de la mort, rien ne justifie aujourd’hui sa défense allant jusqu’à évoquer sérieusement la canonisation de son promoteur.

Ainsi, le 16/29 juillet 1927, date où fut proclamée cette Déclaration, est une des dates les plus tragiques de l'histoire contemporaine de l'Église en Russie, elle marque, en réalité, la fin d'une époque, mais surtout la naissance de l'Église soviétique telle que nous la connaissons aujourd'hui sous l'appellation du "Patriarcat de Moscou". Les conséquences de cette reddition morale, de cette capitulation spirituelle d'une certaine "Église" devant les forces du Mal n'ont pas été suffisamment analysées. En effet, le drame essentiel de l'Église en Russie n'est pas dans la meurtrissure des corps, mais dans la perversion de l'âme. Perversion d'une certaine "Église" qui renia systématiquement ses martyrs en échange d'une illusoire liberté, qui institua le mensonge comme norme ecclésiale en échange d'une position sociale pour sa hiérarchie, qui oublia son rôle de témoin de la Vérité du Christ pour endosser celui de mercenaire zélé d'un État athée en échange d'avantages matériels dérisoires. La perversité suprême de cette "Église" résida dans le fait qu'elle avait accepté d'étouffer l'Église de ses propres mains : le pouvoir civil n'avait même plus à salir les siennes, des évêques dociles, serviles, rivalisaient entre eux pour effectuer la sale besogne, interdire des prêtres téméraires.

Le but de cette étude n'est pas de condamner des hommes, mais de dénoncer et de condamner un système et de rétablir une vérité que trop de monde s'emploie à pervertir. La politique religieuse initiée par Serge, connue sous le nom de sergianisme, ne doit nullement être considérée comme l'expression de la volonté de l'Église Russe. Ce fut, bien au contraire, la politique d'un homme seul, aussitôt institué chef absolu de l'Église par le pouvoir athée, contre l'avis de l'écrasante majorité des évêques et du peuple orthodoxe et notamment de tous les principaux responsables de l’Église de l’époque. C'est cette vérité historique, trop méconnue, que notre étude se propose de rappeler. La politique du fait accompli, tellement caractéristique de notre monde contemporain, ne saurait s'imposer à l'Église, même si certains persistent à affirmer que ceux qui ont rompu avec Serge et le sergianisme se seraient mis en situation de schisme par rapport à l'Église.

Le sergianisme ne fut pas un simple phénomène historique inhérent à une période. L'écroulement du communisme athée à la fin du siècle dernier aurait dû permettre aux hiérarques du Patriarcat de Moscou de rejeter les chaînes qui les liaient, de dénoncer le mensonge dans lequel ils vécurent durant toutes ces années, de faire pénitence devant ce peuple qu'ils avaient trompé durant tant de décennies. Hélas, loin de faire pénitence, les responsables du Patriarcat se lancèrent dans une dogmatisation du sergianisme montrant par là combien, en l'espace de trois générations, ce qui à l'origine était une violence tactique contre-nature était devenue chez eux une seconde nature.

L'Église Orthodoxe Russe Hors-Frontières, dès 1927, en union spirituelle avec l’immensité de l'Église de Russie et pour les mêmes raisons que celles exprimées par ses chefs canoniques, la pléiade des Saints Confesseurs et Martyrs Russes, avait catégoriquement repoussé cette union contre-nature entre le Bien et le Mal, entre la Lumière et les Ténèbres. Dans les conditions actuelles, et ceci devrait être clair pour chacun, l'Église Hors-Frontières ne peut que constater avec regret à quel point les raisons de sa séparation d'avec ce Patriarcat n'ont guère évolué, en dépit des années écoulées et du changement de régime politique en Russie. Sans méconnaître l'apparition heureuse d'un nombre significatif de prêtres et de fidèles tentant de mener le "bon combat'' au sein du Patriarcat, il semble aujourd'hui malheureusement évident qu'aucune union ne peut, sauf à se renier, se faire tant que tout l'appareil dirigeant actuel de cette Église soviétique restera en fonction. L’union-fusion de 2007 n’est rien d’autre qu’une reddition pure et simple, après des décennies de combat spirituel, d’une partie de l’EORHF devant le PdM.

Ci-dessous, nous présentons un rapide tableau retraçant le processus historique qui fut à la base de la situation actuelle.

• Le 15 août 1917 s'ouvre le Concile Pan-Russe, comprenant 588 membres élus, laïcs, prêtres, évêques. Le Patriarcat, aboli deux siècles auparavant par Pierre le Grand, est restauré et l'on procède à l'élection des candidats au trône patriarcal : arrive largement en tête le futur primat de l'Église hors-frontières Antoine /Khrapovitsky / avec 101 voix, le second en comptabilisant 23, puis Arsène et Tikhone qui est finalement élu le 5 novembre par tirage au sort.

• Le 19 janvier 1918, les bolcheviks sont anathématisés par le patriarche Tikhone.

• Le 20 novembre 1920, l'Oukase n° 362 du Patriarche, du Saint Synode et du Conseil Ecclésiastique Supérieur réunis donne les instructions à appliquer en cas d'absence d'un Centre canonique ou d'impossibilité de communication avec un tel Centre. Les évêques des diocèses voisins doivent se réunir et former des groupes ecclésiaux autonomes sous la direction de l'évêque le plus ancien, jusqu'au rétablissement d'une situation normale. Cet oukase est le fondement canonique de l’Église Orthodoxe Russe Hors-Frontières /EORHF/ et régit son existence jusqu’à ce jour.

• En mai 1922, le patriarche Tikhone est arrêté. Le métropolite Agathange de Yaroslavl assume la direction de l'Église.

• En 1922, soutenues et favorisées par le pouvoir soviétique, apparaissent dans la tourmente révolutionnaire plusieurs branches de "l'Église Vivante" ou "Rénovée", violemment réformatrices et soutenues par le pouvoir civil. Leur "Concile" de 1923 destitue le patriarche Tikhone et le réduit à l'état laïc. Le patriarche de Constantinople Mélétios de triste mémoire (lui-même organisateur de la fameuse conférence "pan-orthodoxe" de 1923 dont le résultat principal fut la tentative d'imposer le calendrier grégorien à l'ensemble de l'Orthodoxie) s'immisce de façon coupable dans les affaires intérieures de l'Église Russe, demandant, sous la pression des bolcheviks, le départ du patriarche légitime Tikhone « pour le bien de l'Église ». En 1924, son successeur, Grégoire VIl de Constantinople, interdit la commémoration du patriarche Tikhone dans les églises russes se trouvant sur son territoire. Le 16 juin 1922, le métropolite Serge /Stragorodsky /, futur patriarche soviétique, reconnaît "l’Église Vivante" « seule instance canonique légale » et considère « toutes ses décisions légitimes et obligatoires » et lance un appel à « tous les fils fidèles de l'Église à suivre notre exemple ». Après pénitence publique, Serge fut par la suite réintégré dans l'Église par le patriarche Tikhone qui, se trouvant encore en état d'arrestation, anathématise le 6 décembre 1922 "l'Église Vivante".

• Constatant les progrès de "l'Église Vivante" et comprenant que son autorité de patriarche pouvait rétablir la situation de l'Orthodoxie et freiner la progression du schisme, le patriarche Tikhone se résout à signer le 15 juin 1923, pour prix de sa libération, un document dans lequel il déclare « ne pas être ennemi du pouvoir soviétique » et se refuse dorénavant à toute prise de position politique.

• Le 25 décembre 1924, un Décret du patriarche Tikhone stipule : « Nous transmettons, en cas de décès, nos droits et nos devoirs patriarcaux, jusqu'à l'élection légale d'un nouveau patriarche, à l'éminentissime métropolite Cyrille /Smirnov/. En cas d'impossibilité, cette charge sera assumée par le métropolite Agathange /Préobrajensky/ ou encore par le métropolite Pierre /Poliansky/ ».

Le droit canonique ne connaît pas le principe d'une transmission "testamentaire" du pouvoir par un seul homme, fût-il patriarche. Toutefois, dans cette décision, le patriarche Tikhone a agi sur proposition du Synode et du Conseil Ecclésiastique Supérieur et avec leur accord, c'est pourquoi, en dépit de son caractère non coutumier, cette décision présente toutes les formes de la canonicité, ce qui n'a jamais été contesté par quiconque. Les métropolites Cyrille, Agathange et Pierre ont donc été les seuls Locum tenentes (Gardiens du Trône Patriarcal) à être investis de tous les droits et pouvoirs dont jouissait le patriarche. Les évêques qui par la suite furent nommés par ces Gardiens étaient des "Remplaçants", nommés par un seul homme pour assurer temporairement la continuité de la Direction de l'Église, et ne pouvaient se prévaloir des droits dont disposaient les Gardiens qui les avaient nommés.

• Le 7 avril 1925 survient le décès suspect, le jour de l' Annonciation, du saint patriarche Tikhone. Daté du même jour, un "Testament patriarcal" encore plus suspect exprime une prétendue reconnaissance et une totale loyauté à l'égard du pouvoir soviétique. Ce "Testament" est-il tout simplement un faux, ou bien la signature du patriarche au bas d'un papier écrit par des tiers lui a-t-elle été arrachée de force, les avis des spécialistes sont partagés. Une seule chose est certaine: ce document n'eut aucune suite, la conscience de l'Église le rejeta, le métropolite Pierre n'en tint aucun compte, mais surtout le métropolite Serge lui-même ne se référa jamais à ce document dans sa célèbre Déclaration de loyauté de 1927, ce qui devrait être une indication sans équivoque pour tous ceux qui, aujourd'hui, voudraient salir la mémoire du saint patriarche confesseur Tikhone en laissant entendre que Serge n'aurait fait que suivre son exemple.

• Les métropolites Cyrille et Agathange n'étant pas en liberté, le métropolite Pierre est unanimement reconnu Gardien du Trône Patriarcal. Il est arrêté six mois plus tard, le 10 décembre 1925. Quatre jours auparavant, sentant son arrestation imminente, il avait désigné trois Remplaçants : les métropolites Serge /Stragorodsky /, Michel /Ermakov / et Joseph /Pétrovykh/. La commémoration du métropolite Pierre, Gardien du Trône Patriarcal, restait obligatoire dans les offices, ce qui fut également le cas en Émigration dans l'Église Hors-Frontières.

• Le 14 décembre 1925, le métropolite Serge assume la continuité de la direction de l'Église, en remplacement temporaire du métropolite Pierre qui fut, jusqu'à sa mort survenue dans les camps en 1936, le seul primat légal de l'Église et le signe de son unité.

• Le 18 avril 1926, le métropolite Agathange (un des Gardiens désignés par le saint patriarche) est libéré et annonce qu'il prend tout naturellement en charge ses fonctions de Gardien du Trône Patriarcal. Serge réagit violemment, refuse d'abandonner ses pouvoirs, prétextant qu'il ne peut y avoir deux Gardiens, attendu que le métropolite Pierre, de qui il tient son "pouvoir'', se trouve sous le coup d'un jugement civil et non ecclésiastique. Il menace d'interdire le métropolite Agathange qui, « par amour et pour le bien de l’Église » décide de s'incliner le 24 mai 1926. Ignorant les débats entre son Remplaçant légitime et le métropolite Serge, le métropolite Pierre, toujours en déportation, par une lettre du 31 mai, félicite Agathange pour son entrée en fonction à la tête de l'Église, lequel fait parvenir cette lettre à Serge. Ce dernier ne répond pas, mais s'adresse le 10 juin 1926 au NKVD, en demandant la légalisation de la Direction Ecclésiale à la tête de laquelle il se trouve. Nous voyons ainsi que, dès son entrée en fonction à la tête de l'Église, et même durant la période précédant la proclamation de sa scandaleuse Déclaration, l'esprit de violence et de domination animait déjà Serge dans son action. Tenant sa légitimité du seul métropolite Pierre, il "défendait" ce dernier contre les autres Gardiens légaux investis par le patriarche, mais en même temps dénonçait d'avance toute décision du même métropolite Pierre qui pouvait lui être défavorable, sous prétexte « qu'il était loin des affaires et mal informé ».

• En octobre 1926 se produisit une tentative secrète et avortée visant à élire un nouveau patriarche. Le choix se portait sur le métropolite Cyrille /Smirnov / dont le temps de déportation s'achevait. A cause d'une indiscrétion (Serge?), l'affaire fut dévoilée et quarante évêques furent déportés, quant au métropolite Cyrille, il reçut une prolongation de sa peine.

• En novembre 1926, le métropolite Serge est arrêté. Le métropolite Joseph /Pétrovykh/ de Pétrograd, qui fut par la suite l'opposant le plus ferme à Serge et à sa politique, assume la direction de l'Église. A son tour, il désigne trois Remplaçants et ajoute que « dans le cas critique où les Gardiens ou leurs Remplaçants seraient dans l'impossibilité d'assurer la direction de l'Église » - les arrestations massives et les successions à la tête de l'Église semblent le prouver - « selon leur conscience et dans la mesure du possible, les évêques des territoires voisins assumeront séparément cette direction ». Cette décision est en réalité une répétition de l'oukase n° 362 du 20 novembre 1920 du patriarche Tikhone, qui aurait dû être appliqué dès l'arrestation du métropolite Pierre. Le 29 décembre 1926, arrestation du métropolite Joseph.

• L'archevêque Séraphim /Samoïlovitch/, désigné par le métropolite Joseph, prend la direction de l'Église. Il est arrêté le 27 mars 1927. En réponse à une question du NKVD sur la reconnaissance des conditions pour la légalisation de l'Église, il s'était déclaré ne pas être habilité à prendre une décision de caractère aussi fondamental en l'absence des hiérarques plus âgés. Il comprenait, à juste titre, son rôle comme étant le reflet du pouvoir du Gardien légal et non comme un pouvoir personnel.

• Les quatre conditions imposées par le pouvoir bolchévique pour la légalisation de l'Église, et qui furent successivement repoussées par les différents hiérarques qui se trouvèrent à sa tête, étaient les suivantes:

a) une déclaration officielle, au nom de toute l'Église, d'un contenu déterminé,

b) l'élimination de tous les évêques indésirables pour le pouvoir,

c) une condamnation des évêques de l'Émigration en cas de non soumission au pouvoir ecclésial d'Union soviétique,

d) pour l'avenir, contact étroit avec le pouvoir pour toutes les activités de l'Église.

En échange, le pouvoir promettait une reconnaissance officielle et une inviolabilité des évêques nommés dans les diocèses en accord avec lui.

En cette période de terreur sanglante, la neutralité envers ce pouvoir, pouvait, en raison des circonstances être une condition encore acceptable pour l'Église. Il n'en était pas de même du lien spirituel, du rapport interne envers le pouvoir athée, tel qu'il apparaissait dans les termes de cette proposition de légalisation.

• Au moment où les arrestations d'évêques atteignent le point culminant, Serge est soudain remis en liberté le 20 mars 1927 (moins de quatre mois après son arrestation) et obtient même l'autorisation de résider à Moscou, droit dont il ne jouissait pas avant son arrestation.

• Les craintes qu'inspirait à la majorité de l'épiscopat la nouvelle attitude de Serge, furent encore plus grandes lorsque fut constitué, le 18 mai 1927, un pseudo "Synode auprès du Remplaçant du Gardien du Trône Patriarcal". Lorsque les membres de ce "Synode" furent connus, l'entente entre Serge et le pouvoir ne fit plus de doutes. A compter de cette date, le Patriarcat de Moscou est devenu, dans son aspect administratif, ce qui pourrait être appelé une fiction d'Église.

Sous une enveloppe présentant toutes les apparences de la canonicité, œuvre en fait une organisation franchement anticanonique. Fiction de primat que celle d'un homme qui dirige l'Église non par la volonté de ses membres, mais qui détient son autorité du seul pouvoir athée. Circonstance encore plus grave, que cette fiction de "Synode" donnant extérieurement l'apparence de la légalité à la nouvelle direction ecclésiale, à cause de son aspect collégial indispensable à la norme canonique dans l'Église orthodoxe. Un homme seul, quel qu'il soit, fût-il patriarche, ne peut se choisir un Synode qui doit l'être par l'ensemble de l'Église ou, du moins, devrait-il, étant donné les circonstances, avoir l'assentiment de celle-ci. « La seule présence de l'archevêque Alexis (/Simansky /, futur patriarche de 1945 à 1970) discrédite votre Synode » tel était l'un des arguments avancés dans les nombreuses protestations de croyants. Parmi les six membres de ce "Synode", trois avaient adhéré à "l'Église Vivante" et un provenait d'une autre secte. Aucun d'eux ne pouvait se prévaloir d'une quelconque autorité parmi le peuple. L'unique critère de leur choix était un accord préalable à la ligne politique que Serge se proposait d'appliquer. C'est ainsi que cette fiction de "Centre Ecclésial" devint le véhicule d'influences antireligieuses et un outil de destruction de l'Église.

• Le 29 juillet 1927 est publiée la célèbre Déclaration de loyauté du métropolite Serge. « ... les joies et les succès de l'Union soviétique sont nos joies et nos succès et ses malheurs sont aussi nos malheurs ... Toute attaque contre l'Union soviétique sera considérée comme une attaque contre nous-mêmes . . . Exprimons tout haut notre reconnaissance au gouvernement soviétique pour son attention aux besoins spirituels du peuple orthodoxe ... Nous exigeons de l'épiscopat qui se trouve hors de nos frontières, l'assurance écrite de sa loyauté totale au gouvernement soviétique. Ceux qui ne signeront pas un tel engagement, ou qui le transgresseront, seront exclus de l'effectif du clergé du Patriarcat de Moscou ».

• Cette date doit être considérée comme la fin de la période légale du Patriarcat, et la naissance de la structure illégitime et anticanonique de l'Église officielle de Moscou qui existe jusqu'à ce jour.

• Au 1° avril 1927, on comptait 117 évêques arrêtés ou déportés ainsi que des milliers de prêtres et de moines, sans compter ceux qui avaient été assassinés. De 1917 à 1922, 19.653 prêtres et moines tués, 5.409 moniales. De 1917 à 1940, 205 évêques moururent de mort "non naturelle" s'apparentant le plus souvent à des crimes rituels : cloués vivants sur des iconostases, étain fondu versé dans la gorge en guise de "communion", crânes fracassés en forme de croix, enfouis vivants dans des fosses à fumier, jetés vivants dans des trous de glace en parodie de baptêmes. Des milliers d'églises détruites ou profanées, des objets de culte et des reliques de saints profanés en grand nombre : autant de "succès" à l'actif du gouvernement soviétique dont l'Église aurait dorénavant à se réjouir ...

Toutes les conditions de la légalisation (celle de l'élimination des évêques indésirables allait se réaliser massivement dès la publication de la Déclaration) étaient remplies. Une quarantaine d'évêques furent, dans les mois qui suivirent, arrêtés, déportés ou démis de leurs responsabilités. Par cette Déclaration de loyauté, le pouvoir soviétique avait enfin trouvé en la personne du métropolite Serge un hiérarque qui, pour des raisons qui lui sont propres, avait accepté d'asservir l'Église au joug de l'idéologie athée. L'objectif monstrueux du pouvoir communiste était atteint : transformer l'Église sans violence - car avec son accord apparent - en un outil de l'édification d'une société communiste athée.

• Un acte canonique recueille, tout naturellement, l'assentiment de l'Église. Qu'en est-il de la politique de Serge? Nous savons que les conditions essentielles de la Déclaration avaient été proposées successivement à chacun des hiérarques qui se sont trouvés à la direction de l'Église (à commencer par le patriarche Tikhone) et qu'elles furent tour à tour repoussées par ceux-ci.

Le métropolite Serge se retranchait derrière son "Synode" et des évêques qui, soit par inertie, soit par crainte humaine bien compréhensible des répressions (nous savons que les opposants à Serge étaient condamnés comme contre-révolutionnaires), soit par crédulité pensaient que cette Déclaration donnerait effectivement un statut légal à l'Église et mettrait ses membres à l'abri des persécutions (nous savons combien cet espoir se révéla vain : la Déclaration n'avait profité qu'à quelques rares personnes, dont Serge).

Un autre fait important doit être souligné : Serge, tout comme son successeur direct Alexis, qui avaient tous deux été membres de "l'Église Vivante", reçurent en nombre des transfuges de cette "Église". Ceci faisait dire aux opposants de Serge, lorsque celui-ci faisait état des évêques qui le suivaient, que les voix ne devaient pas être comptées, mais soupesées ...

Rappelons encore que Serge, en sa qualité de Remplaçant du Gardien, n'était pas habilité à prendre une décision de cette importance: son pouvoir n'étant que le reflet de celui du métropolite Pierre, dont nous verrons qu'il ne l'approuvait pas.

Voyons quelles furent les réactions des membres les plus éminents de l'Église à la Déclaration de Serge, notamment les trois Locum tenentes du Trône Patriarcal, les métropolites Pierre, Cyrille et Agathange, tous trois nommés par le patriarche Tikhone, le métropolite Joseph et l'archevêque Séraphim, Remplaçants du Gardien. Ces réactions sont autant de documents historiques de toute première importance.

• Voici ce qu'écrivit le métropolite Pierre : « Publier une telle Déclaration est inadmissible pour un Primat. De plus, je ne comprends pas l'utilité de ce Synode formé de personnes peu sûres. Lvêque Philippe, par exemple, est à proprement parler un hérétique. L'on m'avait également proposé de signer une Déclaration, pourtant écrite dans des termes plus acceptables, et j'ai été déporté pour avoir refusé de le faire. Je faisais confiance au métropolite Serge, et je m'aperçois que je me suis trompé » (Lettre du 22 janvier 1928).

En septembre 1928, le pouvoir lui proposa, en échange de sa liberté, de renoncer à son titre de Gardien du Trône Patriarcal, preuve manifeste que même les autorités civiles étaient conscientes de l'illégitimité des décisions de Serge prises du vivant du métropolite Pierre et sans son accord. Son refus catégorique lui valut de rester en déportation jusqu'à sa mort en 1936. « Il est indispensable de remettre la vie ecclésiale sur la voie empruntée lors de votre première accession à la fonction de Remplaçant. Retrouvez donc cette ligne respectée de tous ... je regrette profondément que vous ne m'ayez pas écrit, ni mis au courant de vos intentions » (Lettre du métropolite Pierre à Serge du 26 février 1930).

• De son côté le métropolite Cyrille lui écrivait : « Je persiste à croire et à affirmer que vous avez effectivement transgressé toutes les limites du despotisme ... et si, au lieu d'apporter la joie, la création de votre Synode suscite des inquiétudes, des craintes et des discussions passionnées, comprenez l'urgence qu'il y a de dissoudre ce Synode et d'apaiser les âmes troublées » (Lettre du 12 novembre 1929).

« Je ne me sépare de rien qui soit saint ou authentiquement religieux, je crains seulement de m'approcher et d'adhérer à ce que je considère être un péché dans son essence même, et pour cette raison je m'abstiens de toute communion fraternelle avec le métropolite Serge et les évêques qui le suivent, car je n'ai pas d'autre moyen de dénoncer un confrère pécheur ... Je refuse de participer au péché d'autrui » (Lettre du 15 mai 1929). « Je ne veux juger personne, mais je ne peux appeler les autres à participer, aux péchés d'autrui ... la discipline religieuse ne peut conserver sa réalité que tant qu'elle est le reflet réel de la conscience hrarchique de la collégialité de l'Église, mais la discipline ne peut nullement se substituer à elle ».

• Quant au métropolite Agathange, au nom du diocèse de Yaroslavl qu'il dirigeait, il envoya à Serge, le 6 février 1928, une longue épître qui fut également signée par le métropolite Joseph, les archevêques Séraphim et Varlaam et l'évêque Eugène. « Ni le Synode, unilatéralement créé par vous et détenant ses pouvoirs de vous seul, ni la composition de ses membres qui ne jouissent pas de la confiance de l’Épiscopat, principalement à cause de l'instabilité de leurs convictions orthodoxes, ne peuvent être qualifiés autrement que comme un fait franchement anti-canonique ... Selon votre programme, le spirituel et le divin dans l'édification de la vie religieuse sont totalement soumis au temporel et au terrestre ... l'important n'est plus de préserver la vraie foi et la piété chrétienne, mais de faire avant tout preuve d’une servilité totalement inutile aux éléments terrestres extérieurs ... Au lieu de la notion élevée de liberté intérieure léguée par le Christ, vous recourez constamment à un arbitraire administratif ... A compter de ce jour, nous nous séparons de vous et de votre "Synode", et nous vous refusons le droit à la direction de l'Église. En outre, nous sommes en communion avec tous les fils fidèles de l'Église Une, Sainte, Catholique et Apostolique et restons indéfectiblement sous l'autorité hiérarchique du Gardien du Trône Patriarcal, le métropolite Pierre".

Le 16 octobre 1928 mourrait le saint métropolite Agathange.

• Le métropolite Joseph, avec tout son diocèse de Pétrograd, rejeta violemment la politique de Serge lequel, en représailles, voulut l'éloigner de ses ouailles en le nommant à Odessa. Joseph refusa cette intrusion anticanonique d'un évêque dans les affaires internes d'un diocèse ne relevant pas de lui et rappela que « les canons existent pour la défense de l'Église et non pour sa destruction ». Dans une épître du 7 janvier 1928, il écrit: « Que toutes ces décisions restent lettre morte et soient ignorées des fidèles de l'Église du Christ ... et si même nous devions être abandonnés de tous, que notre Pasteur Céleste, selon Sa promesse d'être avec Son Église jusqu'à la fin des siècles, ne nous abandonne pas ». Il dénonce, par ailleurs, « la trahison de l'Église au profit des intérêts de l'athéisme, la trahison de cette Église ... A l'édification de la vie religieuse participe tout le corps de l'Église et non uniquement sa tête, et le fauteur de schisme est celui qui s'arroge des droits dépassant ses pouvoirs et qui ose dire au nom de l'Église ce que ses confrères ne partagent pas ».

Archevêque Séraphim : « Plus de six mois se sont écoulés depuis votre Déclaration du 29 juillet 1927, et nous constatons que vos espoirs sont vains, et que votre certitude de voir l'Église libre était tout à fait illusoire, et qu'elle ne peut d'ailleurs se réaliser dans les conditions actuelles ... Avant votre Déclaration nous souffrions en silence car nous étions conscients de souffrir pour la Vérité et nous avions le soutien de Dieu … Mais par votre Déclaration et votre politique vous nous éloignez de notre vocation qui est de servir la Vérité, et Dieu ne nous soutiendra pas si nous servons le mensonge ... Nous sommes des citoyens loyaux, mais nous voulons aussi être de dignes fils de l'Église ... Tant qu'il n'est pas trop tard, rejetez ces chaînes qui vous lient et revenez à votre ancienne position et alors toute l'Église sera derrière vous ... Avec quelle joie je vous avais transmis mes droits de Remplaçant, car je savais que votre sagesse et votre compétence vous aideraient dans la direction de l'Église. Et qu'est-il arrivé? Faites preuve de courage et reconnaissez votre erreur fatale ... Il y a de nos jours tant de nouveaux martyrs dont la peine est encore plus grande du fait qu'elle est la conséquence de votre politique ». En juin 1928, il dénonce une nouvelle fois « le lourd péché » du métropolite Serge qui « entraîne nos frères faibles sur la voie d'une nouvelle Église Vivante ».

• Telles étaient les réactions des cinq hiérarques, tous aujourd'hui glorifiés par l'Église hors-frontières au rang de Saints Nouveaux-Martyrs de Russie, qui avaient à tour de rôle assumé la direction de l'Église et dont l'autorité était unanimement reconnue, tant par le clergé que par le peuple orthodoxe. La politique de Serge, ainsi que sa position à la tête de l'Église, étaient massivement condamnées. Les nuances se situaient au niveau de la condamnation personnelle de Serge.

A ces réactions il faudrait encore ajouter celles de très nombreux évêques, tel Monseigneur Damascène, évêque de Gloukhov : « Par votre Déclaration vous avez ébranlé l'autorité de l'Église et de tout l'épiscopat ... votre devoir d'évêque est de clamer sans peur la Vérité et ce n'est pas le moindre de vos péchés que de vous détourner de ce principe évangélique ... Toute l'Église attend de vous une réponse claire: êtes-vous prêt à prendre en compte l'opinion de la majorité écrasante des hiérarques dans leur refus clairement exprimé de votre ligne de conduite ... Répondrez-vous par l'abandon de l'erreur dans laquelle vous vous êtes engagé et la modification du cours de la politique ecclésiale, ou bien préférerez-vous vous affermir dans le choix de votre divergence d'avec l'ensemble de l'Église ». D'autres réactions, comme celles des évêques Dimitri, Serge, Pachôme, Averky, la plupart détenus dans des camps, mériteraient d'être citées. Tous s'élevaient avec force contre les innovations de Serge, telles la prière pour les autorités civiles et l'abrogation de la prière pour les prisonniers. Des délégations nombreuses de tous les diocèses venaient demander l'abrogation de la Déclaration. Dans certains diocèses, jusqu'à 90% des paroisses renvoyèrent dès réception la Déclaration à l'expéditeur.

• Dans une Encyclique du 9 septembre 1927, après avoir confessé son appartenance indéfectible à l'Église-mère de Russie et sa fidélité au Gardien légal du Trône Patriarcal le métropolite Pierre, le Synode des évêques de l'Église Russe Hors-Frontières décidait de « repousser catégoriquement la proposition du métropolite Serge et de son Synode de signer un engagement de fidélité au gouvernement soviétique, comme étant un acte anticanonique et particulièrement nocif pour la sainte Église, tant en Russie qu'à l'étranger ». En revanche, en dépit de quelques réserves de principe, un choix différent fut fait par le métropolite Euloge de la rue Daru qui, qinze mois auparavant, avait rompu avec l'Église hors-frontières et qui, sous la pression de son entourage libéral, signa cette honteuse Déclaration.

• Constantinople procéda à une nouvelle intrusion coupable dans les affaires internes de l'Église Russe. Le 7 décembre 1927, le patriarche Basile III écrivait au métropolite Serge : « Nous avons appris que vos relations avec le pouvoir civil ont trouvé une issue favorable et cette nouvelle nous a apporté une grande joie. Nous espérons que cette juste orientation servira le bien de l'ensemble de l'unique Église Russe, mais en aucun cas d'une seule de ses parties ... l.a responsabilité de la division pèse pareillement sur un grand nombre de personnes et nul n'a le droit de la rejeter sur l'autre ».

Contrairement à ce que l'on pourrait attendre de la part d'une Église-sœur, le patriarche de Constantinople, en parlant de « l'autre partie de l'Église une », n'envisageait pas la véritable et seule Église canonique russe dirigée par le métropolite Pierre et la masse des évêques et prêtres qui s'étaient élevés contre Serge, mais ... ''l’Église Vivante'' (voir sa lettre du même jour au "Synode" de cette "Église"). Il est vrai que la politique définie par Constantinople au Congrès de 1923 l'apparentait en beaucoup de points à cette pseudo "Église" considérée toujours, jusqu'à la volte-face de Serge, comme l’unique Église Russe légale. C'est à ce même Patriarcat de Constantinople que s'adressa le métropolite Euloge après la deuxième interdiction qui le frappa en 1930, et de laquelle il obtint la dignité d'exarque pour les paroisses russes en Europe occidentale.

• Le 27 avril 1934, les 21 évêques qui suivaient Serge décident de lui octroyer le titre de "Sa Béatitude Serge, Métropolite de Moscou", l'élevant de la sorte sur la chaire patriarcale, alors que le métropolite Pierre était toujours en vie.

• Le 27 décembre 1936, à la suite du décès du métropolite Pierre, Serge s'arrogea unilatéralement le titre de "Gardien du Trône Patriarcal", titre qui revenait en droit au métropolite Cyrille. Cet acte tout autant illégal qu'illégitime, est à rapprocher de ce que Serge écrivait lui-même dans le n°1 du Journal du Patriarcat de Moscou : « Le Remplaçant conserve ses droits tant que le Gardien reste en fonction: Si le Gardien abandonne sa fonction (par suite de décès, de refus, etc.) au même instant cessent les pouvoirs du Remplaçant ». Ces nouveaux excès de pouvoir firent que des évêques qui, dans un premier temps, l'avaient suivi se séparèrent de lui.

• De 1927 à 1942 furent opérées 179 arrestations et déportations d'évêques. 2200 églises furent détruites ou fermées entre 1927 et 1929. En 1940 il ne restait plus que 4 évêques diocésains en liberté. Tels furent quelques uns des fruits de la légalisation de l'Église. . . Le 8 septembre 1943, à un moment critique de la guerre contre l'Allemagne, 19 évêques libérés pour cette occasion, "élisent" Serge ''Patriarche de Moscou et de toutes les Russies". Son décès survint le 15 mai 1944 et Alexis /Simansky /, celui-là même dont on disait que sa seule présence discréditait le Synode réuni par Serge en 1927, devint "Gardien du Trône Patriarcal".

• 2 février 1945 : Réunion d'un Concile avec 45 évêques et 126 représentants du clergé et des fidèles ainsi que des représentants des Patriarcats orientaux venus, dans l'euphorie de la victoire des Alliés, cautionner cette "élection" : unique candidat - et pour cause, il était celui du pouvoir civil - Alexis fut "élu" par vote nominal à bulletins non secrets. C'est pourquoi, malgré un semblant de légalité et l'apparente caution apportée par les Patriarcats orientaux, cette élection, pas plus que celle de Serge 18 mois auparavant, ne peut être considérée valide et canonique.

• Un nouvel épiscopat apparaît : pour pallier la carence numérique de l'épiscopat, on procéda en trois années à un total renouvellement de la hiérarchie. C'est ainsi que nous possédons les données biographiques de 47 des 66 évêques "légaux" que comptait le Patriarcat en 1947. Sur ces 47 évêques, 36 avaient été consacrés après 1944, 26 étaient d'anciens prêtres mariés, 2 venaient de l'Uniatisme et 3 de ''l’Église Vivante''. Tous ces évêques existaient parallèlement aux hiérarques qui avaient été illégalement dépossédés de leurs chaires et emprisonnés ou déportés.

• Le 18 juillet 1961, se tient un "Concile" précipitamment réuni dans le but de faire adopter par l'Église des mesures devant l'asservir encore plus au pouvoir civil, alors que se poursuit une violente campagne anti-religieuse. Une abondante littérature démontra l'anticanonicité de ce "Concile".

• Une érosion permanente de la conscience orthodoxe dans les sphères dirigeantes du Patriarcat a rendu un instant envisageable l'élection du métropolite Nicodème /Rotov/ de Léningrad (évêque à 28 ans) après le décès d'Alexis en 1971, même si Pimène /lzvékov /, plus traditionnel sur le plan religieux, mais tout aussi docile à l'égard du pouvoir, lui fut finalement préféré par les autorités civiles. Nicodème développait et faisait pénétrer un enseignement pernicieux présentant des formulations dogmatiques dans un esprit de communisme religieux totalement contraire aux définitions des Conciles Œcuméniques. Le danger de cet enseignement était aggravé du fait que Nicodème, véritable éminence grise du Patriarcat, tentait de faire imposer ses vues par le biais d'une nouvelle modification de l'épiscopat : plusieurs dizaines de jeunes, certains très jeunes, évêques furent ainsi choisis et imposés par Nicodème désireux d'asseoir son autorité parmi l'épiscopat soviétique. Quelques trente années plus tard, ce sont eux qui, à commencer par le patriarche Alexis II, occupent et verrouillent tous les postes clés du Patriarcat, empêchant toute régénération réelle de l'Église officielle dans la Russie post-soviétique.

Fait unique dans l'histoire bimillénaire de l'Église, Nicodème, dont les sympathies pour le Catholicisme permettaient à certains d'affirmer qu'il avait clandestinement adopté cette confession, à peine âgé de 49 ans, mourut subitement au Vatican dans les bras de l'éphémère pape Jean-Paul I.

• Le 3 mai 1990, le patriarche Pimène disparaît alors que l'ancien monde soviétique s'écroule comme un château de cartes. Alors qu'un immense espoir de liberté se lève, c'est un homme tout aussi "neuf' que les "nouvelles" autorités civiles qui, le 7 juin, prend la direction de l'Église: Alexis Il /Ridigher/, âgé de 60 ans, mais membre permanent du Saint-Synode depuis 1964 !

Un rapport secret, dit Rapport Fourov, du Conseil aux Affaires religieuses, branche du KGB chargée de s'occuper de l'Église, rédigé en 1975 classait l'ensemble des évêques en trois catégories. La première est constituée d'évêques qui « en actes aussi bien qu'en paroles, font preuve non seulement de loyauté, mais également de patriotisme à l'égard de la société socialiste ... ayant conscience que notre État ne souhaite pas voir se développer le rôle de la religion et de l'Église dans la société et ne déploient pas de zèle particulier pour étendre l'influence de l'Orthodoxie parmi la population ». Les deux meilleurs élèves de la classe cités dans ce document officiel du KGB étaient Pimène et Alexis.

Ce ne fut donc pas une surprise que d'apprendre, lorsqu'à la fin de l'année 1991 les archives du KGB furent entrouvertes, que tous les évêques et un grand nombre de prêtres étaient des membres, tantôt actifs, tantôt passifs, informateurs zélés ou besogneux, de cette sinistre organisation diabolique. La surprise fut, en revanche, d'apprendre que, outre leurs noms de baptême et leurs noms monastiques, ils étaient tous affublés, pour les besoins de la cause, d'un troisième nom : leurs noms de code au sein du KGB. Ainsi "Drozdov", "Antonov", "Adamant", "Abbat", "Pavel", "Skala", "Kouznetsov", "Altar" et tant d'autres sont, dans une vie parallèle, les membres honorables du Saint Synode et les évêques dirigeants des différents diocèses.

• En dépit de la publication de ces documents pour le moins compromettants, aucune pénitence, aucune mise à l'écart, à l'exception notable de l'ancien métropolite de Kiev Philarète, ne sont venues troubler la sérénité du "Saint-Synode" de Moscou, dont la composition est restée sensiblement identique à celle de l'époque dite de la stagnation brejnévienne. Tous les leviers de commande du Patriarcat sont entre les mains des disciples du défunt métropolite de Léningrad Nicodème qui, en la personne du métropolite Cyrille Goundiaev de Smolensk, devenu patriarche en 2009, a trouvé un digne successeur et fils spirituel.

Tout comme plus de soixante années durant, ce Patriarcat fut le docile complice du pouvoir soviétique, il assume depuis la chute du régime, avec un zèle identique, son rôle d’Église d'État auprès du pouvoir "démocratique" qui, en signe de bonne volonté, lui a remis les archives du KGB, à peine entrouvertes, le concernant. Dorénavant, donc, nul danger de ce côté; toutefois, un scandale pouvant en cacher un autre, de nouvelles turpitudes nées durant la période de la perestroïka sont venues éclabousser le métropolite Cyrille, à l’époque véritable éminence grise et homme fort du Patriarcat, chef du Département des Relations extérieures : la presse, preuves en mains, le dénonçait comme étant le chef d'une gigantesque "mafia du tabac". Sous le couvert de son Département et dans le cadre de ... l'aide humanitaire internationale (!), il avait fait entrer en contrebande pour la seule année 1996, 10.000 tonnes de tabac, soit l'équivalent de 8 milliards de cigarettes, auxquelles il fallait encore ajouter 100 millions de bouteilles d'alcool divers détaxés. Et depuis son accession au trône suprême les scandales financiers n’ont fait que croître, discréditant définitivement ce personnage ainsi que la structure qu’il dirige.

Malheureux peuple russe devant subir de tels "guides spirituels". Et c'est avec ces gens que l'Église hors-frontières devrait s'entendre?

Jusques à quand, Seigneur, jusques à quand ? ...

Protodiacre Germain Ivanoff-Trinadtzaty