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Nous avons retrouvé dans nos archives ce texte d'une conférence qui peut éventuellement intéresser certains de nos lecteurs - Protod. G.I.-T.

 

Présentation de l'Orthodoxie

 

Université Catholique de Lyon - Salle Jean-Paul II - Jeudi 27 janvier 2000

 

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Présenter en 2 heures l'Orthodoxie est une gageure. Certes, les collègues qui m'ont précédé, comme ceux qui viendront plus tard, pourraient sans doute dire la même chose concernant leur domaine, mais je crois que c'est tout spécialement vrai pour l'Orthodoxie. J'ai, à ce propos, une formule que j'aime employer : "L'Orthodoxie se montre, mais ne se démontre pas". Plus facile de la vivre, de la voir vivre que d'en parler. En quelque sorte, c'est le «Viens et vois» de Philippe à Nathanaël (Jean, 1, 46). Mais ce que l'on me demande, c'est : «Viens et parle» !

Il me faut donc relever ce défit, et en réfléchissant à la façon de construire cet exposé, j'ai imaginé ce que pourrait être un sondage, un "micro-trottoir", où l'on demanderait à des passants : «Pour vous, l'Orthodoxie, qu'est-ce que c'est ?». Les réponses pourraient être :

L’Orthodoxie ? : des prêtres barbus, ne rechignant pas porter la soutane, une utilisation abondante d'encens, une religion plus encore que le catholicisme-romain décalée par rapport à la modernité, de très beaux chants liturgiques, mais surtout l’icône.

Je vais donc essayer d'articuler mon exposé autour de 3 axes, 3 grands thèmes : Tradition - Beauté - Icône.

Mais avant nous situerons l'Église orthodoxe telle qu'elle apparaît aujourd'hui, c'est-à-dire où se trouvent majoritairement les orthodoxes, et nous verrons que l'Église orthodoxe est essentiellement présente à l'est de nos frontières (Proche-Orient et Europe de l'Est) ce qui fait qu'on la définit habituellement comme étant un christianisme oriental et j'essaierai de vous montrer pourquoi et dans quelle mesure l'Orthodoxie réfute cette définition.

Il y aurait certainement quantité d'autres domaines à aborder, mais nous sommes limités par le temps et nous devons donc faire des choix. Il aurait été notamment peut-être intéressant de faire une approche comparatiste et de voir les divergences avec le Catholicisme-romain, mais là encore nous nous serions aperçu que ce qui compte ce n'est pas tant la dizaine de points de désaccord qui pourraient être relevés, dont certains sont tout à fait majeurs, ce qui compte c'est que même là où ces 2 confessions sont apparemment d'accord entre elles, qu'elles n'ont pas de débat, le vécu de ces réalités, de ces dogmes a priori communs, est néanmoins différent ! C'est ce que dit très clairement le père Yves Congar : «Tout est foncièrement commun à l'Orient et à l'Occident, et tout y est différent parce que différemment senti, interprété, construit, exprimé et vécu» (Notes sur le schisme oriental, p.48).

Toutefois, nous dirons quelques mots sur la raison théologique majeure qui fut à la base de la rupture de l'unité de l'Église entre l'Orient et l'Occident: la fameuse querelle du filioque.

I - Les Églises orthodoxes

Aujourd'hui, on entend par Église orthodoxe, une fédération d'Églises-sœurs, indépendantes, autocéphales, mais toutes unies entre elles par une doctrine et des sacrements identiques.

Par ordre de préséance. Tout d'abord celles qui remontent aux tous premiers temps de l'Église :

1/ Constantinople, la Nouvelle Rome, capitale de l'Empire romain, puis viennent les sièges apostoliques :

2/ Alexandrie (s. Marc), Egypte actuelle, de langue grecque,

3/ Antioche (s. Pierre), Syrie, Liban, de langue arabe,

4/ Jérusalem, Terre Sainte, actuel Israël et en partie Jordanie, de langue grecque.

Toutes quatre faisaient partie de l'ancienne «Pentarchie» qui couvrait l'ensemble du monde chrétien sur l'étendue de l'empire romain et qui vécut jusqu'au moment où le patriarcat de Rome s'est séparé des quatre autres patriarcats. Ces 5 sièges ne sont donc plus aujourd'hui que 4.

Viennent ensuite des patriarcats plus récents correspondant à ce "second souffle" de l’Église consécutif à l'évangélisation des peuples slaves :

5/ Moscou, de langue slavonne, la plus importante de toutes les Églises orthodoxes,

6/ L’Église martyre de Serbie, de langue slavonne,

7/ Roumanie, de langue latine et qui est un pont entre l'Orient et l'Occident,

8/ Bulgarie, de langue slavonne.

Puis viennent des Églises autocéphales présidées par un métropolite ou un archevêque, ce sont :

9/ Grèce, de langue grecque,

10/ Géorgie, de langue géorgienne, avec un catholicos à sa tète. Catholicos était le nom qui était donné aux chefs d'Églises locales qui ne se trouvaient pas sur le territoire de l'empire romain,

11/ Chypre, de langue grecque et dont la moitié nord de l'île a été envahie par les Turcs depuis le milieu de 1974. En dépit d'une condamnation solennelle de l'ONU qui depuis le 20 novembre 1975 exige le départ des troupes étrangères, nul n'a eu l'idée de faire entendre raison à la Turquie, membre de l'Otan, en l'écrasant sous un matelas de bombes. Il est vrai que les musulmans turcs ne sauraient être traités de la mème façon que de vulgaires orthodoxes serbes qui s'étaient cru autorisés de reprendre en mains ce qui est le cœur et la matrice historique de la nation serbe, je veux parler du Kosovo. Bien au contraire, lors du dernier Conseil européen (décembre 1999), le principe de l'admission de la Turquie dans la Communauté Européenne a été admis en dépit des persécutions vécues à ce jour par les orthodoxes qui ont massivement dû abandonner leur territoire occupé.

12/ Albanie, Église qui avait été carrément supprimée en 1967 durant la dictature communiste, mais qui a été depuis peu rétablie avec un archevêque nommé par Constantinople. De langue grecque,

13/ Pologne, forte minorité orthodoxe en Pologne orientale, de langue slavonne,

14/ Tchécoslovaquie, de langue slavonne,

15/ Mont Sinaï, qui est une Église autonome depuis le VI° siècle, de langue grecque.

A cela s'ajoutent des entités plus ou moins importantes, comme la Finlande, autonome, mais sous l'autorité de Constantinople, l'orthodoxie de cette Église est très sujette à caution. Mission importante au Japon, en Corée, en Alaska en Afrique (Ouganda, Zaïre, Kenya). Amérique du Nord, près de 5 M, Europe occidentale + 1 M dont quelques 350 000 en France, Amérique latine et Australie, 0,5 M. Situation particulière de l'Église Russe hors-frontières, issue de l'émigration russe qui est la partie libre de l'Église Russe et qui durant toute la période de la tyrannie soviétique a été la voix de cette Église et de ce peuple martyrs, mais une voix qui, malheureusement, a trop souvent clamé dans le désert. Elle est dispersée sur tous les continents du monde libre et aujourd'hui est également présente en Russie post-soviétique.

Cet ensemble d'Églises orthodoxes représente une masse approximative de quelques 250 millions de baptisés.

Nous avons vu le panorama de l'implantation de l'Orthodoxie qui fait dire à certains que l'Église orthodoxe est un christianisme oriental, sous-entendant par là une forme de christianisme qui serait adaptée à une prétendue mentalité orientale. En fait, il n'y a pas de «mentalité orientale», dans le sens où celle-ci aurait pu fédérer des nations pour leur faire adopter l'Orthodoxie. En effet, quelle communauté y a-t-il entre un Arabe et un Russe, entre un Grec et un Russe entre un Grec et un Roumain ? Il y a en réalité entre eux des différences ethniques et culturelles profondes. Il n'y a donc pas de tempérament commun qui aurait donné au christianisme orthodoxe sa physionomie et il serait vain de chercher une quelconque communauté ethnique ou raciale entre les peuples orthodoxes pour expliquer leur appartenance à cette foi. En réalité, c'est tout le contraire : c'est une communauté de foi, d'appartenance religieuse, qui a façonné une culture forgée par l'Orthodoxie.

Si aujourd'hui le monde orthodoxe semble effectivement limité à ces pays dits improprement orientaux, et que l'on parle de christianisme "oriental" et "occidental", c'est en vertu des avatars de l'histoire qui ont fait que le monde occidental, à partir d'une certaine époque, a évolué différemment. Mais si l'on considère le monde chrétien du haut Moyen-âge, jusqu'au XI° siècle, on voit qu'il y a, certes, des nuances, mais il n'y a pas de différence sensible, il n'y a pas cette coupure entre 2 visions, 2 compréhensions et 2 vécus du christianisme. Nous pouvons là encore recourir à celui qui fut un des plus plus grands spécialiste catholique de l'Orient chrétien, le père Yves Congar, qui écrit : «Un fidèle du IV° ou du V° siècle, eût été moins dépaysé dans les formes de piété du XI° siècle, qu'un fidèle du XI° siècle dans celles du XII°. La grande coupure n'intervient qu'en Occident , entre la fin du XI°, et celle du XII°, tout se transforme ; elle n'intervient pas en Orient où, à tant d'égards, les choses chrétiennes sont encore aujourd'hui ce qu'elles y étaient - et ce qu'elles étaient chez nous - avant la fin du XI° siècle» (ibid, p. 43).

Je disais donc que l'Orthodoxie réfute cette appellation de "christianisme oriental", si ce n'est pour dire que le christianisme est essentiellement, originellement, oriental.

Cette prétention est-elle justifiée ? : l'Orient EST le berceau du christianisme. Jérusalem. Pléiade des Pères de l'Église. Les 7 Conciles œcuméniques de l'Église Indivise se sont tous tenus en Orient.

De ce fait on peut dire que le christianisme est essentiellement, fondamentalement, originellement oriental, même si ontologiquement il est, par essence et vocation, universel, catholique.

N'oublions jamais que l'Occident a reçu le christianisme d'Orient. Rome, capitale d'un Empire païen, fut christianisée par des apôtres et des missionnaires venus d'Orient. Jusqu'à la fin du II° siècle, les évêques de Rome furent souvent des Grecs. Prenons l'exemple de la France et de Lyon : saint Pothin (Pothéinos: Désiré), Irénée (Paix) étaient des Grecs de Smyrne, disciples de saint Polycarpe, lui-mème disciple de saint Jean le Théologien. C'est là que l'on voit ce qu'est dans tout son éclat, la Tradition - Transmission.

Martyrs de Lyon : Etaient-ils 47 ou 53 ? Plus de la moitié étaient des Grecs d'Asie Mineure. L'Orthodoxie a conscience d'être cette foi "orientale" venue ensemencer le christianisme en Occident et à laquelle l'Église orthodoxe, sous quelque latitude qu'elle se trouve, reste farouchement fidèle. L'Orthodoxie a conscience de ne pas être ici en terre étrangère. Et lorsque tout à l'heure je parlais de la présence orthodoxe en Europe et notamment en France il s'agit, bien évidemment, en majorité d'émigrés ou d'enfants d'émigrés, orthodoxes de souche, qui ont fuit les cataclysme politiques de ce siècle et d'autres qui sont des immigrés économiques, mais il y a également une proportion croissante de convertis orthodoxes, non par exotisme, mais par "retour aux sources". D'ailleurs, très souvent ils refusent que leur démarche soit qualifiée de conversion à l'Orthodoxie, pour eux c'est un retour à l'Orthodoxie.

II - La Tradition

Nous venons de voir que le mot «Tradition» qui vient de Traditio - Tradere signifie «transmettre». La Tradition est donc la Transmission et le christianisme est une Foi Transmise.

Une tradition faussement comprise devient une sorte de crispation sur le passé, alors que c'est une transmission. Qu’est-ce que la Tradition apostolique ? : c’est la chaîne de l'Église dont chaque membre est un maillon et non une coutume, une habitude plus ou moins poussiéreuse. L'Église orthodoxe se définit volontiers comme l'Église de la Tradition. On l'appelle encore «l'Église des 7 Conciles», «l'Église des Pères», «l'Église Patristique».

Un Père de l'Église latine du V° siècle, saint Vincent de Lérins, a livré une formule d'or de l'Orthodoxie en définissant les critères fondamentaux de la doctrine orthodoxe : «Il faut veiller avec le plus grand soin à tenir pour vrai ce qui a été cru partout, toujours et par tous». Le critère de vérité repose sur l'unanimité dans le temps et l'espace. Est vrai non pas ce qui a été prescrit par une autorité quelconque, extérieure. Est vrai ce qui correspond aux critères d'oecuménicité «partout», d'antiquité «toujours», de consentement unanime «par tous».

Chaque chrétien, fidèle, prêtre, évêque, patriarche n'est pas propriétaire de la foi, de la doctrine, il en est le dépositaire, le "gérant", ce qui signifie qu’il ne peut pas en disposer à sa guise, car lui-mème sera tenu de transmettre ce qu'il a reçu. Cela explique que l'Orthodoxie non seulement puisse, mais doive être identique à ce qu'elle était il y a 1500 ans. C'est ainsi que doit être compris ce qui est faussement appelé "l'immobilisme" de l'Orthodoxie. La Tradition n'est pas un carcan, mais un élément de communion entre les chrétiens de tous les temps. Dans la mesure où il y a identité de comportement, il y a unité dans le temps et l'espace. La Tradition est donc gage d'unité au sein de l'Église.

L'Orthodoxie, qui n'est pas autre chose que le christianisme original et originel, ne peut connaître de développement doctrinal, d'évolution dogmatique, sauf à se renier elle-même. Pour qu'une Église soit véritablement apostolique, il faut non seulement une continuité historique entre son évêque et toute la lignée des évêques qui l'ont précédé et le rattachent aux apôtres, mais il faut également que la foi de cet évêque et la doctrine de cette Église soient identiques à celles de l'Église des temps apostoliques. Dans l'Église orthodoxe on considère qu'une Église qui aurait extérieurement conservé la structure, extérieurement conservé la filiation, ne serait pas pleinement Église si elle n'avait pas en mème temps cette foi droite.

L'Orthodoxie est donc l'Église de la Tradition, une transmission qui vient des temps apostoliques. Cette transmission s'opère de 2 façons : orale et écrite.

Il y a une tendance en Occident à ne considérer comme seule vraie la Tradition écrite – les "Saintes Ecritures" – comme recouvrant tout le dépôt de la Révélation. Pour l'Orthodoxie, la Tradition orale est au moins autant, sinon plus importante que la Tradition écrite. En effet, elle la précède, elle lui est antérieure, elle la justifie, l'authentifie. C’est une des particularités du christianisme : être une transmission orale, c'est sa nouveauté radicale par rapport à la révélation juive qui est une religion du Livre. Mahomet, plus tard, laissera également un Livre. Le Christ n'a pas écrit, ni dicté un seul mot. Il a transmis Sa Parole, Il est le Verbe de Dieu, le Logos. Cette Parole, Il la transmet, la confie à l'Esprit, le Souffle Divin. C'est cette Parole qui depuis les apôtres est transmise.

Le Christ n'a nullement fondé une nouvelle religion du Livre. Sur les 12 apôtres qui entouraient le Christ, 2 seulement ont écrit un évangile (Jean et Matthieu). Tous les écrits n'ont pas été reconnus comme part intégrante de la Révélation. Certains furent rejetés, d'autres confirmés, PAR QUI ? Par le consensus de l'Église exprimé dans son unité certifiant qu'un enseignement, une coutume fait ou non partie de la Transmission léguée par les apôtres, toujours selon le principe : Ce qui a été cru toujours, partout et par tous (Commonitorium, saint Vincent de Lérins).

Une juste compréhension de la Tradition explique les raisons de l'attachement des orthodoxes à cette Tradition et nous donne une clé pour une juste compréhension orthodoxe de la Vérité et de l'Autorité qui ne sauraient jamais être extérieures, imposées, mais toujours inhérentes à l'Église.

Il y a 3 évangiles "synoptiques" ("biographies", écrits dans les années 4O-60 par les saints Matthieu, Marc et Luc), puis saint Jean (écrit 20-30 ans plus tard). L'évangile de saint Jean tranche totalement par rapport aux 3 autres. Y a-t-il pour autant opposition, contradiction entre eux ? Non, il y a complémentarité. Si Jean n'avait pas écrit "son" évangile, tout ce qu'il apporte sur la Divino-Humanité du Christ ne pourrait-il être retenu pour authentique ? En réalité, tout son enseignement faisait partie de cette tradition-transmission orale léguée par le Dieu vivant.

Une part immense de cette transmission n'a pas été "graphiée". Cela n'enlève rien à son authenticité. C'est la Tradition orale. Ainsi en est-il du baptême des enfants, du signe de la croix, de la prière pour les morts, etc. Ainsi en est-il de l'icône. «Jésus a fait encore beaucoup d'autres choses; si on les écrivait en détail, je ne pense pas que le monde mème pût contenir les livres qu'on écrirait. Amen» (Jean XXI, 25). Bien comprendre cette conception très spécifique de la Tradition dans l'Église orthodoxe et la prééminence de cette Tradition dans la théologie orthodoxe. Pour anticiper sur ce que nous allons dire sur l'icône, disons qu'elle représente en image, "en traits et en couleurs", non seulement les faits relatés par les Saintes Écritures, mais elle puise très souvent dans ce dépôt sacré de la transmission orale.

III - Filioque

La querelle dite du «filioque» a été la cause doctrinale majeure de la rupture entre Rome et le reste du monde chrétien. Filioque signifie «et du Fils» et se rapporte à la définition de l'Esprit Saint dans le Credo, le Symbole de la Foi de Nicée-Constantinople, en faisant procéder l'Esprit Saint du Père et du Fils (qui ex Patre Filioque procedit). Cette clausule, apparue en Occident, a été par la suite incluse unilatéralement dans la Credo par l'Église de Rome.

Voyons pour quelles raisons l'Église orthodoxe refuse d'admettre ce filioque et, accessoirement, pourquoi l'Église catholique l'a-t-elle unilatéralement ajouté.

Pour expliquer leur refus absolu du filioque, les orthodoxes invoquent deux raisons majeures : d'ordre doctrinal et d'ordre disciplinaire.

Nous n'allons pas développer ici l'aspect doctrinal, nous nous bornerons à dire que ce filioque transgresse l'équilibre de la Trinité. La vision orthodoxe, la vision patristique, peut être figurée par un triangle équilatéral : le sommet étant le Père, et les deux angles de la base, le Fils et l'Esprit. Le Père, en tant que source de la divinité, engendre le Fils et fait procéder l'Esprit. Pour cela, l'Orthodoxie se fonde sur la décision du II° Concile œcuménique de Constantinople (381) et sur la parole même du Christ selon l'évangile de Jean (XV, 26) : «Lorsque le Consolateur que je vous enverrai d'auprès du Père, l'Esprit de vérité qui procède du Père». La thèse filioquiste fusionne le Père et le Fils en un seul principe et renverse sur son sommet le triangle figurant la Trinité.

La raison disciplinaire découle de l'interdiction formelle, posée par les pères de III° Concile œcuménique d'Éphèse (431), de modifier ne serait-ce que d'un iota le Symbole de la foi de Nicée-Constantinople qui était réputé parfait et définitif. Les pères du Concile ont proscrit sous peine d'anathème la moindre altération du Symbole. Une preuve éclatante de l'inaltérabilité du Symbole nous est fournie par les pères de ce même Concile d'Éphèse qui s'étaient réunis pour condamner l'hérésie de Nestorius qui ne voyait dans la Vierge que la Mère du Christ. La Vérité n'est pas un concept abstrait, c'est une réalité vivante. La thèse de Nestorius peut apparaître comme une demi-vérité, mais de même que l'on ne peut pas parler d'un demi-homme, l'Église ne connaît pas de demi-vérité. Une demi-vérité est un mensonge. Ayant solennellement proclamé que la Vierge est Mère de Dieu (Theotokos - Bogoroditsa ), ils n'ont toutefois pas jugé possible d'introduire dans le Symbole ce terme qui exprime pourtant un dogme de foi. Interdisant à quiconque, et pour l'éternité, de toucher au Symbole, ils rapportaient cette interdiction à eux-mêmes, alors qu'il s'agissait là d'une vérité absolue.

Examinons les raisons du filioque. Il y en a une «bonne», et une autre beaucoup moins.

Le filioque apparat au VI° siècle et, paradoxalement, pour défendre l'Orthodoxie. L'hérésie arienne, du nom de son promoteur Arius, portait sur l'enseignement relatif au Christ en niant qu'il fût Dieu. Pour les ariens, le Christ était la plus parfaite et la plus élevée des créations, mais restait créature et n'était donc pas Créateur. Cette hérésie a été solennellement condamnée par le I° Concile œcuménique réuni à Nicée en 325, mais n'a pas pour autant été définitivement éradiquée, ce qui peut se vérifier notamment à notre époque où de très nombreuses personnes se disant chrétiennes sont des ariens qui s'ignorent. Au début du siècle, le royaume d'Espagne est envahi par des bandes barbares ariennes, des Alains et des Vandales qui franchissent les Pyrénées, puis les Wisigoths, après un détour par Rome, s'emparent en 415 pour longtemps du trône d'Espagne en en chassant les Romains. Lorsque le roi Récarède I monte sur le trône en 586, il décide de ramener son royaume à la foi orthodoxe. Pour ce faire, il convoque un concile local, le III° de Tolède en l'an 589, et, pour marquer la rupture avec l'arianisme qui nie la divinité du Christ, il est décidé de confesser de façon très explicite la "co-divinité" du Père et du Fils, et pour ce faire on dit que l'Esprit procède du Père et du Fils, afin de montrer que le Fils est tout autant Dieu que le Père ! Pensant bien faire, Récarède et le Concile de Tolède introduisaient là une véritable mine à l'intérieur de l'Église. Comme dit l'adage : «L'enfer est pavé de bonnes intentions» ! Toutefois, dans l'esprit de Récarède, le rôle du filioque se limitait à cette fonction de rétablissement de la vraie foi et il aurait dû disparaître dès le retour du royaume d'Espagne à l'Orthodoxie. Et en effet, pendant 2 siècles on n'en entendit pas parler … jusqu'à ce que Charlemagne s'en empare.

Le couronnement de Charlemagne le 25/12/800 est considéré comme un acte fondateur de ce qui allait devenir le "Saint Empire Romain Germanique". Si l'autorité, et presque la sacralisation de la personne de Charlemagne, en dépit des dix épouses ou favorites officielles connues, est un fait qui ne saurait être discuté en Occident, il n'en va pas de même pour qui tente d'observer objectivement cette subite apparition d'un Empire et d'un Empereur concurrents et rivaux de l'Empire et de l'Empereur romains qui, depuis saint Constantin le Grand, étaient à Constantinople. Depuis la "paix de l'Église" de 313 et la christianisation de l'Empire romain, un principe tri-unique s'était progressivement imposé dans les consciences chrétiennes : un seul Empire, un seul Empereur, une seule Foi.

Ainsi, lorsque Charlemagne eut l'idée hardie et osée de se faire couronner Empereur, il avait très certainement conscience que son initiative audacieuse pourrait soulever des interrogations, voire des objections. Dans la mesure où, après 2 siècles d'oubli, le filioque renaît tel le phénix de ses cendres sous son règne et à son initiative, il n'est pas interdit de s'interroger sur les raisons profondes de cet intérêt, a priori surprenant, de Charlemagne pour la définition du dogme trinitaire. En réalité, les raisons politiques de cet intérêt ne devraient échapper à personne : dans son projet de s'imposer face à celui qui apparaissait comme son rival, l'Empereur de Constantinople, - authentique Empereur des Romains, - il lui fallait trouver une faille qui puisse disqualifier son rival et, aussi surprenant que cela paraisse, mais tellement caractéristique d'une époque révolue montrant l'importance majeure du christianisme dans la vie publique, c'est à un point de théologie que pensa Charlemagne : le filioque. S'il parvenait à prouver la justesse du filioque et le fait que l'Empereur de Constantinople ne le confessait pas, ce dernier perdrait tous ses droits à prétendre être l'Empereur de tous les chrétiens, puisque sa foi était incorrecte ! Pour faire aboutir ce dessein machiavélique, Charlemagne décide de s'assurer du concours du pape de l'époque, Léon III.

Un collège de théologiens proches de Charlemagne se réunit dans le but de prouver l'authenticité de cet ajout et une ambassade, emmenée par le principal conseiller du souverain, Smaragde, est envoyée à Rome pour faire plier Léon III. La seule relation connue de cette ambassade et des conversations avec Léon III est le témoignage qu'en a fait ce même Smaragde et qui, 40 ans plus tard, sera repris par Anastase le Bibliothécaire et s'imposera, du moins en Occident, comme version officielle de cet événement. Selon cette version, le pape partageait totalement la doctrine du filioque, allant jusqu'à se dire prêt à excommunier quiconque s'y oppose, tout en refusant de l'incorporer au texte officiel du Credo. À la réflexion, cette thèse qui semble ménager la chèvre et le chou, bien qu'officielle, ne nous paraît pas satisfaisante.

En réalité, la seule preuve tangible et indiscutable de cette démarche auprès de Léon III, ce sont les fameuses plaques d'argent que le pape fit poser devant la confession de saint Pierre «pour l'amour et la défense de la foi orthodoxe» avec le Credo de Nicée-Constantinople authentique gravé en grec et en latin. Une réponse aussi cinglante, véritable gifle envoyée à Charlemagne, ne cadre pas du tout, selon nous, avec l'affirmation selon laquelle Léon III partageait complètement la doctrine du filioque. N'oublions pas qu'il avait lui-même couronné Charlemagne Empereur, qu'à ce titre il devenait son "sujet", qu'en outre il lui était redevable d'avoir restauré à Rome même son autorité à la suite d'une sombre affaire de complot visant à le destituer. Dans un tel contexte, une pareille initiative de Léon III, authentique non possumus, témoigne d'une insubordination manifeste qui ne peut s'expliquer que par une opposition et un désaccord profonds avec le filioque, tant quant à la forme que quant au fond.

Dans un concile local à Aix-la-Chapelle en 809, Charlemagne passe outre et officialise le filioque. Toutefois, sur ce point précis, les papes s'en tiendront pendant 2 siècles encore à une stricte orthodoxie. Et c'est en l'an 1009 que, semble-t-il, pour la première fois un pape de Rome, Serge IV, à l'occasion de son élection envoie sa confession de foi avec le filioque aux patriarches orientaux qui, pour toute réponse, le rayent de leurs diptyques lui refusant ainsi la communion. Beaucoup plus que 1054, cette date de 1009 pourrait être considérée comme celle de la rupture officielle entre l'Orthodoxie et le Catholicisme-romain..

IV - Beauté

Pour montrer l'importance et le sens de la beauté dans la conception orthodoxe, nous citerons le témoignage de la plus ancienne chronique historique de la Russie, la Chronique des temps passés, habituellement appelée Chronique de Nestor, où se trouve le récit des circonstances du choix par les Russes de la foi orthodoxe. Ce «Baptême de la Russie» s'est effectué en l'an 988, sous le règne du Grand-prince Vladimir de Kiev qui avait pris conscience du fait que son pays était arrivé à un stade de développement tel qu'il lui fallait abandonner le paganisme et adopter une des grandes religions monothéistes. Pour ce faire, il reçoit des délégations puis envoie lui-même des ambassades très particulières pour voir comment ces différents peuples vivent leur foi et pour trouver celle qui correspondrait le mieux aux Russes.

Voici le récit de leur visite à Constantinople :

«Nous sommes donc allés chez les Grecs, qui nous conduisent là où ils rendent le culte à leur Dieu. Et nous ne savions pas si nous étions au ciel ou sur la terre. Car il n'y a pas sur la terre de tel spectacle, ni une telle beauté, et nous sommes incapables de l'exprimer. Mais nous pouvons seulement dire que Dieu est là parmi les hommes, et que leur service dépasse tout ce que nous avons vu. Nous ne pourrons jamais oublier cette beauté; car tout homme qui goûte quelque chose de doux ne supporte plus ensuite l'amertume».

Ce qui frappe dans ce récit, dans lequel il faut, certes, faire la part des choses, et notamment celle revenant au récit, c'est ce thème de la beauté qui revient tel un leitmotiv. Il y a ce qui est beau et qui donc est vrai et ce qui ne l'est pas. Le sens du beau est tout spécialement cultivé par la Liturgie orthodoxe. La magnificence du rite liturgique qui, en effet et en toute objectivité, n'a pas son pareil, correspond à cette conception du rapport entre beauté et vérité.

Il y a là une différence essentielle entre l'approche occidentale contemporaine et l'approche orthodoxe. On sait qu'en Occident, après avoir bien évidemment magnifié la beauté par des oeuvres architecturales, picturales, musicales, on en est venu depuis quelques dizaines d'années, à tourner le dos à ce sens du beau. Quoi de plus triste et de plus désespérant que ces "surplis" que revêtent aujourd'hui les prêtres dans les Églises catholiques bien que dans le Musée des tissus ou dans le Trésor de la cathédrale à Lyon on expose des vêtements liturgiques qui sont de véritables splendeurs et des confessions de cette beauté-vérité. Le dépouillement qui est de mise aujourd'hui, tant dans la construction des nouvelles Églises, que dans le chant, que dans la peinture, que dans les vêtements, est en contradiction avec cette glorification de Dieu par la beauté chère aux orthodoxes. Rien n'est trop beau pour glorifier Dieu. Ce que les envoyés de Vladimir avaient senti à Constantinople : "Dieu était là, parmi les hommes". Ce sens de la beauté du rite, du culte est toujours présent dans la confession de l'Orthodoxie.

Il y aurait une erreur profonde à confondre la richesse ostentatoire de l’Église, des hommes d’Église (ce qui est tout autre chose et qui peut être une véritable insulte face de la pauvreté des hommes) et la beauté de la Liturgie, des ornements, des ors qui doivent être compris comme l'expression de la représentation anticipée du monde à venir, du monde transfiguré. Le fait de revêtir ces chasubles, ces ornements en brocards symbolise la finalité de la vie chrétienne, celle d'un monde transfiguré par la splendeur et la vérité divines. L'or symbolise la lumière de Dieu, la lumière matérialisée.

Les fastes de la Liturgie contrastent avec la vie dépouillée du moine dans sa cellule. Mais lorsqu'il se revêt d'ornements en or, il manifeste la finalité de la vie chrétienne vers laquelle il tend.

Un homme comme Dostoïevski le comprenait si bien lorsqu'il disait cette phrase célèbre qui lui fut tellement reprochée : "La beauté sauvera le monde". Les reproches sont le fait d'hommes qui ne comprennent pas cette vérité qui ne peut être véritablement comprise qu'intuitivement, intérieurement. Le but du moine, comme de tout chrétien, n'est pas de transformer le monde (à l'image de l'expérience, sans doute généreuse, des "prêtres ouvriers" avec un engagement politique "à gauche"), mais de le transfigurer.

V - L'icône

Pourquoi l'icône ? Non pour présenter de belles images, mais c'est la meilleure introduction à l'Orthodoxie. L'icône est bien autre chose qu'un élément décoratif. L'icône, notamment, participe à cette glorification de Dieu par la beauté. Il est impossible d'imaginer l'Orthodoxie sans l'icône. L'Orthodoxie est dans les icônes et les icônes sont l'Orthodoxie.

On peut se réjouir de voir d'autres confessions découvrir aujourd'hui l'icône, mais coupées de leur élément naturel, de la doctrine qui les porte et qu'elles expriment, ces icônes apparaissent tout juste comme des éléments décoratifs. Or, il faut bien savoir que par le prisme de l'icône nous pénétrons l'enseignement dogmatique et toute la théologie confessée et vécue par l'Orthodoxie.

Si aujourd'hui seule l'Orthodoxie assume l'icône, à l'époque du premier millénaire, et même 2-3 siècles après le schisme, l'Occident vivait de l'icône au même titre que l'Orient chrétien [ cf. Catacombes romaines, Ravenne, Venise, Auxerre, Autun (Christ en Gloire), églises romanes etc.].

En développement de ce que nous avons dit de la Tradition, l'icône représente en image, "en traits et en couleurs", non seulement les faits relatés par les Saintes Écritures, mais puise très souvent dans ce dépôt sacré de la transmission orale.

Bien que de nos jours l'Occident redécouvre l'icône, il demeure une large incompréhension à son égard. Qu'est-ce qu'une icône, à quoi sert l'icône, pourquoi cette vénération à l'endroit de ce qui peut apparaître comme un simple tableau à caractère religieux.

Etymologie : pour comprendre le sens des choses, il faut comprendre le sens des mots. Icône provient du grec "eicôn", image, "eicô" ressemblance, similitude. La question ainsi posée supprime toute identification entre "la représentation et ce qui est représenté" (s. Jean Damascène), souligne la différence de nature entre l'image et son prototype et c'est en cela qu'elle échappe à toute idolâtrie. Jamais on ne peut dire de l'icône du Christ qu'elle est le Christ, alors que le pain eucharistique est le Corps du Christ.

Dans les Saints Dons, le Christ se donne, alors qu'Il se montre dans l'icône. Le but d'une icône est de témoigner d'une présence, de permettre une communion de prière spirituelle, mystique, d'opérer une rencontre dans la prière, mais sans que cette communion se localise dans l'icône, mais bien à travers l'icône comme véhicule de sa présence. L'icône est un point matériel qui ouvre une brèche sur l'infini. Tout comme le chrétien n'adore pas les quatre lettres D I E U , mais ce vers quoi ces lettres le transportent.

Fondement dogmatique de l'icône : L'Ancien Testament interdit la représentation de Dieu, car nul n'a jamais vu Dieu. Tel est le message exact et désolé des Juifs et de l'Islam par la suite. Mais les chrétiens ont vu Dieu, c'est pourquoi ils Le représentent. Christ est Dieu. Dieu S'est fait homme et Il S'est montré à l'homme. Si Dieu ne S'était pas incarné, si Christ n'était pas né, l'humanité n'aurait jamais connu l'icône. L'incarnation de Dieuest le fondement dogmatique de l'icône qui exprime la vérité du dogme de Chalcédoine de la Divino-Humanité du Christ, "Vrai Dieu et Vrai Homme". Qui m'a vu, a vu le Père (Jean XIV, 9). A travers le Visible, nous pouvons contempler l'Invisible. C'est là le grand acquis du christianisme. La représentation du Christ est donc l'icône par excellence. Mais l'Orthodoxie ne représente jamais l'homme de Nazareth, l'homme qui souffre, c'est le Dieu triomphant qu'elle représente à la différence de l'art occidental, notamment du Dolorisme qui est en fait l’échec de Dieu ! Relevons l’expérience de Dostoievsky devant tableau de Holbein, un maître allemand du début du XVI° siècle, intitulé"Christ mort". Ce tableau morbide a fait dire à Dostoievsky : "un tel tableau peut faire perdre la foi". Ce n'est ni la nature divine, ni la nature humaine qui sont représentées par l’icône, mais Son Hypostase qui unit ces 2 natures sans confusion, ni division.

Ainsi, l'icône d'un saint représente non la chair corruptible, destinée à la décomposition, mais la chair transfigurée, illuminée par la grâce, c'est la chair du siècle à venir. Un portrait représente un homme ordinaire, une icône un homme uni à Dieu.

Une réalité terrestre vue à travers le prisme de l'icône se distingue de la vision profane par le fait que dans le temporel elle contemple l'éternel, cet éternel qui est révélé par la Liturgie, par le culte dont l'icône fait partie intégrante.

Canons de l'icône : Pour que l'icône puisse être "icône", elle doit être bénie et peinte selon certaines normes bien définies. C'est ainsi que l'icône ne doit pas être un portrait, une photographie : elle doit rendre la signification théologique du modèle. Ce n'est pas un corps ou un visage ordinaires qu'elle représente, mais un corps ou un visage unis à Dieu, transfigurés. Les traits charnels sont atténués afin de mieux faire apparaître tout ce qui reflète la spiritualité.

On comprend la différence entre une icône de la Mère de Dieu et une madone de Vélasquez ou de Murillo. Le peintre d'icône ne cherche pas à exalter le corps et encore moins la chair, mais à exprimer la présence de l'âme.

Mais en refusant de représenter la chair, l'Orthodoxie ne fait-elle pas échec à l'Incarnation ? Non, car le corps et la chair sont deux choses distinctes. Il est possible de représenter le corps sans suggérer la chair. C'est tout l'art de l'icône. L'image qu'elle transmet n'est pas une image de ce monde. L'icône représente une image et un monde transfigurés. C'est la tentative de représenter ce que Pierre, Jacques et Jean ont vu le jour de la Transfiguration.

L'icône célèbre la divinité et le chrétien peut donc la vénérer sans risque d'idolâtrie, car selon s. Jean Chrysostome «l'honneur rendu à l'image, va à l’être imagé». Celui qui regarde avec foi l'image de ces corps transfigurés est conduit spirituellement en leur présence. L'icône devient un moyen de communication entre celui qui contemple et l'objet de la contemplation.

Un théologien orthodoxe a dit que la Bible est une icône verbale . Si l'on inverse la proposition, on peut dire que l'icône est une Bible en image, en traits et en couleurs. On a également dit que l'icône est la Bible du pauvre, de l'illettré. On peut faire un parallèle avec les vitraux en Occident. Dans son Traité sur les icônes, saint Jean Damascène écrit : «Si un des païens vient à toi en disant : montre-moi ta foi, tu le conduiras dans une église et tu le mettras devant diverses images sacrées».

Saint Basile le Grand affirme : «Les faits que présente la parole en les faisant retentir à l'oreille, la peinture, en silence, les offre à l’œil » / Homélie des 40 martyrs de Sébaste /. Preuve que le culte de l'icône tel qu'il est compris et vécu dans l'Orthodoxie, remonte bien à la plus haute antiquité chrétienne.

Cette fonction théologique, dogmatique est la fonction principale de l'icône. Elle amène l'iconographe à être théologien. Peindre une icône, c'est contempler la vraie doctrine. C'est d'ailleurs sur les icônes que dans la Sainte Russie les enfants apprenaient ce qui, en Occident, s'appelle le catéchisme. Mission sublime de l'iconographe, mais contraignante du point de vue de la liberté artistique pour qui ne voit en elle qu'un objet d'art dont le but serait de ravir l’œil et les sens.

L'icône est objet de culte, confession de foi et donc soumise à des règles, à des canons. La notion de "liberté iconographique" n'a pas plus de sens que la liberté en théologie. On ne peut pas dire de Dieu n'importe quoi. De même, ne peuvent dire n'importe quoi les icônes de la Nativité, de la Résurrection etc. Tout simplement parce que l'icône et la théologie sont une seule et même chose ! Dans les langues de tradition orthodoxe, on ne dit jamais "peindre", mais écrire une icône. Aussi, l'iconographe est-il théologien. C'est aussi, traditionnellement, un moine. C'est également, car cette dimension ne doit pas être oubliée, un artiste qui met le talent reçu de Dieu au service de la glorification divine, mais en s’effaçant totalement, il n'est qu'un instrument, ce qui explique que les icônes ne sont jamais signées, ce ne sont pas des tableaux, elles n'appartiennent pas à l'iconographe, mais à l’Église. La "peinture-écriture" d'une icône est soumise à des règles très strictes et ce n'est que lorsque tout ce qui doit être dit est présent dans l'icône, que l'émotion du peintre, émotion née de la contemplation de la vraie doctrine, peut alors donner un style propre, personnel à l'icône. Ce n'est que là que réside la liberté de l'iconographe. Et c'est à ce titre que l'on peut parler d'icônes russe, grecque, serbe, d'école de Moscou, de Novgorod etc. Mais pour qu'une icône puisse être considérée telle, elle doit au préalable et avant tout être l'expression juste du dogme qu'elle est censée représenter.

Jusqu'à l'Incarnation, la seule image de Dieu, était Sa Parole. Pour cette raison, seule l’Écriture Sainte était vénérée dans l'Ancien Testament. Mais Dieu s'est fait Homme et Il se manifeste donc tant par Sa Parole, que par Son Image. «Celui qui m'a vu, a vu aussi le Père» qui m'envoie / Jean XIV, 9 à Philippe /. Lorsque l’Église vénère l'icône, c'est à Dieu, à la Vierge et aux Saints que les chrétiens rendent un culte. Les païens adoraient l'idole en tant que divinité elle-même, alors que la vénération chrétienne de l'icône ne va pas au bois, au métal ou à la peinture, elle remonte jusqu'au prototype. Et le culte rendu à l'icône, comme aux saints ou aux reliques ne se justifie que par le fait que l'icône, le saint, la relique sont des images, certes imparfaites, mais des images de Dieu. C'est pourquoi, les chrétiens vénèrent les icônes, les reliques, les saints, mais ils adorent Dieu.

La vue d'une icône doit transporter celui qui la contemple vers des réalités supérieures que notre entendement limité n'est pas capable d'assumer sans ce symbole qui est un pont qui relie le visible et l'invisible, le terrestre et le céleste et les véhicule l'un dans l'autre.

A toutes ces raisons vient s'ajouter une décision de l’Église prise dans son unité et donc sa sainteté lors du VII° Concile œcuménique (dernier commun à l'ensemble du monde chrétien), s'appliquant de ce fait à l'ensemble de la chrétienté : «Les icônes doivent rester dans les églises pour y être honorées de la même vénération que celle qui est témoignée aux autres symboles matériels tels que la précieuse et vivifiante Croix et le saint Livre des Évangiles». / Horos du VII° Concile oecuménique /

Par cette formule l’Église mettait fin à une querelle qui avait duré pendant plus d'un siècle et qui avait déchiré la chrétienté en 2 camps irréductibles - les iconodules et les iconoclastes - et qui a été à l'origine du fait qu'aujourd'hui nous ne possédons que de très rares exemplaires de l'iconographie du I° millénaire. En revanche cette dispute théologique eut pour mérite de poser un fondement dogmatique à l'icône, à sa fonction dans l’Église. Depuis cette date, l’Église orthodoxe commémore de façon très solennelle ce VII° Concile œcuménique fêté chaque année le 1° dimanche du Grand-carême, connu dans l’Église sous l'appellation de "Triomphe de l'Orthodoxie".

Comme il a été dit, on ne peut parler de l'Orthodoxie sans parler de l'icône et inversement, parler de l'icône c'est parler de l'Orthodoxie, la victoire de l'icône est devenue victoire de l'Orthodoxie !

 

Protodiacre Germain Ivanoff-Trinadtzaty